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crows and magpies

Plus près de la mer que de la bruyante place du marché, loin de la popularité du Renard Endormi, la taverne d'Hanael ne portait rien d'extravagant. Sans pancarte, avec une porte plus ou moins robuste, les quelques visiteurs ne comptaient en majorité que des habitués. Bruyants, exubérants, et la plupart du temps déjà ivres avant d'arriver, ils attiraient l'attention plus efficacement qu'un crieur ou des milliers d'affiches, et Hanael nota, dans un coin de sa tête, qu'il faudra peut-être les remercier un jour.

« Mais pas ce soir », murmura-t-elle, plus à elle même qu'autre chose. Car ce soir, elle attendait quelqu'un. Elle aurait préféré un ami, une connaissance, quelqu'un sur qui elle aurait pu y apposer un visage où un nom. Là, elle n'avait rien. Son potentiel client semblait très réticent à partager quoi que ce soit, et son messager, un jeune homme aux cheveux attachés et vêtu de haillons, semblait terrifié à l'idée de laisser ne serait qu'un seul indice.

Hanael s'était donc résignée à attendre, un nœud dans l'estomac. Elle parcourait de temps en temps des yeux la missive, qui ne comportait qu'une demande d'entrevue, l'écriture nette et concise, comme si l'auteur n'avait guère de temps, et se demandait si elle avait bien fait d'accepter. L'anonymat laissait naître une certaine crainte, et le messager, évasif, ne l'avait point rassurée. Il avait haussé les épaules, les yeux tournés vers le sol, lorsque Hanael l'avait questionné, curieuse de savoir pourquoi tant de mystères.

En tant qu'informatrice, elle avait vite appris à appréhender les demandes impolies, les guerriers bourrus et les aventuriers chevronnés, mais ce genres de démarches lui étaient inconnues, et Hanael ne pouvait pas s'empêcher d'être inquiète. Et si c'était un assassin, envoyé par un certain noble pour s'assurer de son silence ? Ou bien une embuscade, pour lui soutirer des informations ? Et si, malheureusement, c'était effectivement un piège, comment remonter à son auteur, dont elle ne disposait rien ? Survivra-elle ?

Hanael laissa son angoisse l'envahir, mordilla ses lèvres, passa une main dans ses cheveux. L'un des clients, un pirate, habitué de la mer et venu après une nuit avec elle, s'approcha de l'elfe, visiblement intrigué par son anxiété. Il frappa le comptoir d'un poing ferme pour réclamer son attention, et Hanael, après un sursaut, lui lança un regard noir, ce qui le fit sourire.

« Aller, ma petite, j'sais pas ce que tu traficotes, mais tire pas cette tronche ! »

Il déposa quelques pièces, exigeant une autre pinte, avant de retourner s'asseoir et de rire grassement à une blague salace. Hanael s'empressa de servir, son habituel sourire forcé étirant de nouveau ses lèvres, et se plongea dans son travail de serveuse.

Après une matinée bien trop calme, le reste de la journée passa en un éclair. L'odeur de l'alcool et de la sueur de plus de plus forte, les clients défilant au fur et à mesure; Hanael, épuisée, ne remarqua qu'en relevant la tête que le soleil s'était couché. Elle avait demandé au messager de retourner vers son employeur avec un simple message, « au coucher du soleil, à la taverne », persuadée qu'elle sera plus en sécurité dans un lieu fréquenté. Mais paranoïaque de nature, son esprit lui indiqua que malgré le monde, un poison ou une dague pourra disposer d'elle en un instant, et bien discrètement.

Hanael jeta un regard suspicieux à ses tonneaux de bière, avant de détourner son attention sur la porte entrouverte. Elle n'était plus tellement sûre qu'il était sage d'accepter de rencontrer un inconnu aussi étrange, mais elle avait besoin de se construire un réseau solide et étendu. De tout manière, se dit-elle, il était bien trop tard pour changer d'avis. Alors, après un dernier coup d’œil sur la missive, les mains moites, Hanael se prépara silencieusement à l'arrivée de son futur client, avec le pressentiment qu'il ne sera pas comme les autres.

 

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Des pas décidés firent craquer le plancher de la taverne, et Hanael, qui serrait la missive abîmée de ses mains moites, leva les yeux, glissant rapidement le morceau de papier dans l'une de ses poches. Elle s'essuya sur son tablier, avant de chercher le nouveau venu du regard. C'était un homme banal en apparence. Grand, portant une barbe bien taillée et une chevelure mi-longue, les vêtements simples mais propres dévoilant quelques discrètes cicatrices. Il savait se battre donc ? Peut-être un guerrier, ou un aventurier, conclut Hanael. Ces blessures ne semblaient pas provenir de tragiques accidents.

Elle plissa les yeux, son esprit totalement concentré sur l'homme, ignorant les hurlements, les rires, et le bruit ambiant de la taverne. Son instinct lui intimait de rester vigilante, car elle n'arrivait pas à saisir un certain détail chez ce nouveau venu, le détail même qui le rendait évasif, mystérieux, incompréhensible. Il se présentait comme une personne banale, mais plus Hanael l'étudiait, plus elle décelait quelque chose d'anormal, un pressentiment qui la plongeait dans l'inconfort.

Ce mauvais pressentiment lui confirma que c'était son client qui venait d'arriver, et elle comprit, dans un élan d'empathie, l'anxiété du messager.

L'elfe détourna rapidement les yeux dans un souci de subtilité et non par peur; et c'était un point assez étrange chez elle. Si elle craignait l'inconnu pour son côté imprévisible et bien trop abstrait, dès qu'elle pouvait y coller un nom, un visage, une étiquette, cette angoisse se dissipait pour laisser place à une curiosité monstre. Hanael faisait alors en sorte de relever chaque détail, interprétait l'ensemble des éléments pour en sortir une hypothèse, qui, la plupart du temps, se révélait juste. Ce talent, si on pouvait le nommer ainsi, l'avait sortie maintes fois de situations périlleuses, car plus stratège que guerrière, elle pouvait déceler points forts et points faibles, et ainsi créer une opportunité de fuite.

Mais cette fois-ci, Hanael avait la vague impression d'être la proie traquée, qu'on l'étudiait elle et non le contraire. Elle se sentait vulnérable, et elle réalisa qu'un échappatoire n'était pas envisageable. Certes, l'homme n'était pas menaçant en apparence, mais lorsque qu'il passa commande –un whisky; alcool fort mais bien commun, leurs regards se croisèrent et Hanael, qui n'émettait que des doutes jusque là, eut la certitude qu'il s'agissait non seulement d'un homme intimidant, mais également d'un homme dangereux.

Elle ne l'avait jamais vu auparavant –elle s'en serait souvenue; et la taverne était bien peu connue. Pourtant, l'homme s'était déplacé avec aisance, s'était fondu dans la masse sans une once de difficulté, tel un habitué... Ou peut-être un prédateur s'approchant lentement de sa proie. Cette réalisation fit monter l'adrénaline chez Hanael, pulsant à son rythme cardiaque dans ses veines. Elle avait le sentiment de jouer avec le feu; inédit pour une elfe qui avait passé sa vie à éviter le danger, à fuir les risques. Dans son estomac pesa un mélange d'anticipation, de curiosité et d'appréhension.

De plus en plus forts, Hanael dilua ces émotions en pensant à autre chose.  Elle sentait déjà la chaleur familière de la magie l'envelopper, et savait qu'il fallait de peu pour que des flammes jaillissent autour d'elle. Ce serait un comble pour une informatrice d'avoir ses propres secrets dévoilés, se dit-elle, et Hanael décida d'étudier plus en détail le visage de son client pour se distraire. Il cachait bien ses expressions derrière un sourire charmeur, mais l'elfe n'était pas dupe. C'était certes un bel homme, se dit-elle, contemplant ses traits et ses yeux, mais ces derniers demeuraient froids, ne montrant qu'un intérêt envers Hanael uniquement pour ce qu'elle pouvait apporter.

Elle se détourna de nouveau un instant pour saisir un verre et son meilleur whisky, celui réservé aux meilleurs clients, pour les placer doucement sur sa table. Elle servit l'alcool, murée dans son silence, sentant que chaque faits et gestes étaient épiés, et réprima un sursaut lorsque l'homme ajouta «  Et un verre de ce que vous voulez pour vous. Vous devez avoir travaillé dur, vous méritez bien une petite pause, pas vrai ? »

Lorsqu'il avait passé commande, sa voix était plutôt nette et concise, un ordre plus qu'une demande, à l'instar de son écriture. Hanael n'avait pas eu le temps de s'attarder dessus, et n'y avait prêté guère attention. Ce fut donc avec surprise qu'elle entendit un accent antivan, étrangement chaleureux à ses oreilles.

L'elfe eut un léger sourire. Son client n'était pas le seul à savoir jouer.

« Que de générosité pour un voyageur, dit-elle, faussement approbatrice. »

Hanael retourna vers le comptoir, saisit du bout de ses doigts une pinte qu'elle remplit d'une infâme bière. Tenant très peu l'alcool, elle ne pouvait s'offrir le luxe d'être ivre, surtout en la présence d'un homme qui inspirait tellement le danger. Elle avait conscience que ce n'était pas une bourse qu'elle risquait de perdre en cas d'inattention, mais sa tête.

Pour justifier en avance son piètre choix, Hanael, s'asseyant en face de son client, ajouta après une gorgée, « Je ne rends guère hommage à votre générosité avec cette pinte, mais il serait bien dommage d'oublier votre nom avec quelque chose de plus fort. »

Puis, d'une voix plus grave, comme si elle partageait un secret, l'elfe murmura, penchée en avant, « Mais sachez que je sais me montrer très, très reconnaissante pendant mes pauses.»

Un peu plus loin, autour de la table la plus proche, quelques personnes levèrent leur boisson et sifflèrent, encourageant Hanael, visiblement peu gênés d'écouter une conversation qui n'était pas la leur. Certains s'indignèrent, clamant être plus jeunes, d'autres plus beaux. L'elfe se doutait d'une réaction similaire, et n'exprima pas une once d'embarras, se contentant de leur adresser un rictus dédaigneux, les faisant taire avec un bref mouvement de la main.

Malgré son peu de clientèle, la taverne d'Hanael ne faisait pas exception à la règle : les secrets ne pouvaient pas demeurer des secrets en ces lieux. Alors elle avait besoin d'une excuse pour trouver un lieu tranquille, loin des autres. Elle ne supportait pas discuter affaires en vérifiant chaque seconde par dessus son épaule.

Hanael, tout en demandant à une autre serveuse, jusque là discrète, de prendre sa place, espérait ne pas avoir offensé son client, et qu'il comprendrait sa démarche.

De toute manière, il avait l'âge d'être son père.

HRP:

 

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Hanael ne releva pas le silence de son client. Il n'était pas rare de les voir utiliser des noms d'emprunts, et ne s'attendait pas forcément à obtenir une information si importante alors que leur entrevue commençait à peine. Elle aurait préféré pouvoir apposer un nom sur ce visage, ou bien faciliter leur échange, mais tant pis. L'elfe ne se soucia donc pas de son échec et ne se présenta pas non plus. De toute manière, se dit-elle, quelque chose lui disait qu'il connaissait déjà son prénom.

Son attention fut vite reportée sur le sourire grandissant de son interlocuteur, encore froid mais légèrement plus sincère, remarqua son regard s'attarder sur son visage, et Hanael se détourna discrètement pour admirer les ivrognes de sa taverne, cachant sa gêne.

Hanael était assez vaine pour savoir que ses traits elfiques attiraient un bon nombre d'intéressés, peut-être pour le côté exotique de ses origines, ou sa stature frêle, menue. Elle réprima une grimace, détestant être prise pour une curiosité, mais son visage ne montra qu'un semblant de gratitude et elle feignit d'être flattée.

Pour être honnête, Hanael était soulagée que son client comprenne et joue le jeu. L'idée de perdre une main ou une jambe suite à un malentendu ne l’enchantait guère.

Cependant, elle n'avait pas imaginé qu'il serait si... enthousiaste.

Elle resta résolument calme lorsqu'un pied parcourut son mollet, ne répondant qu'avec un rire, le même rire faux que les humaines faisaient résonner lors des événements prestigieux. Il sonnait peut-être un peu étrange, peut-être un peu forcé, mais Hanael ne se préoccupa pas de la réaction de son client, à qui elle n'avait pas besoin de mentir. Son travail passait avant toute chose, et si son interlocuteur estimait que faire du pied accentuait la qualité de leur jeu d'acteur, soit. Elle n'était pas sûre que cela fût nécessaire compte tenu l'état d’ébriété général mais garda le silence.

Le court chemin jusqu'à la cuisine fut courte, et l'elfe fut presque certaine d'avoir entendu une personne hurler, « J'prendrai plus ton ragoût, Hanael ! ».

La porte se referma sur un fou rire général et une serveuse horrifiée, et Hanael, loin des autres, changea immédiatement de posture. Son attitude faussement décontractée se dissipa, la laissant plus raide, plus sur la défensive. Les bras croisés, l'elfe jaugea un instant son client du regard tout en sachant qu'elle ne pourra le cerner, non pas par manque de talent, mais parce qu'il ne le voulait pas. Il restait évasif et calme, ses yeux gardaient cette étincelle mystérieuse.

C'était le genre de personne capable, avec des mots bien choisis et un sourire, de charmer le monde tout en gardant une aura intimidante. Et Hanael n'était pas une exception. Elle ne fut pas totalement ensorcelée non plus (ne sous-estimez pas cette jeune elfe, voyons), mais elle était curieuse, et cette curiosité ne faisait qu'alimenter son obsession. Elle voulait savoir pourquoi tant de mystères, pourquoi ces cicatrices, pourquoi cette cible, pourquoi ci, pourquoi ça, pourquoi tout.

Ces informations que Hanael voulait récolter étaient avant tout vitaux. Ils servaient la plupart du temps à un moyen de pression, car nombreux étaient ceux qui cherchaient à se débarrasser d'elle après leur accord, en quête de silence. Alors, il n'était pas rare que Hanael échange sa vie contre celle d'une femme ou d'un enfant après avoir remarqué une bague au doigt, qu'elle propose une coquette somme pour combler la bourse vide accrochée à la ceinture d'un vagabond.

Bien-sûr, il y avait toujours des accidents, et personne ne rentrait forcément dans le rôle du père aimant ou du pauvre malfrat. Hanael avait déjà eu recours à ses dagues, cri de rage résonnant dans l'air et sang éclaboussant ses vêtements. Vous pouvez lui reprocher sa subtilité inexistante au combat, certes, mais ne pouvez nier que l'elfe savait être discrète et évasive dans sa collecte d'informations.

Ses intentions cachés sous un air professionnel et détaché, elle sourit et répondit à son client, sa voix faussement polie et mesurée,

« Je ne suis guère novice dans ces... transactions. Je vous conseille donc de préparer vos questions, mais également votre bourse. »

Hanael n'était pas sèche, et ne portait aucune arrogance, juste une pointe d'assurance qui prouvait qu'elle savait ce qu'elle faisait, qu'elle maîtrisait maintenant la situation. Malgré les circonstances inhabituelles et son trac du début, elle était douée, c'était un fait, et savait pertinemment qu'elle pouvait se permettre ce comportement.

L'elfe prit appui sur un tonneau de vin, ses yeux se posant sur la marmite de ragoût reposant sur le feu, ses habitudes de serveuse et cuisinière reprenant ses droits un instant. Elle reporta ensuite son attention vers son client.

« Avant que l'on commence, j'ai quelques règles. Si vous n'agréez pas, vous pouvez repartir. Je ne vous aurai jamais vu, et vice versa. » Hanael marqua une pause, puis reprit, « Tout d'abord, je demande le paiement avant les informations. Si je ne peux pas vous répondre mais que vous être prêt à attendre, on se fixera un rendez-vous dans quelques jours pour que je puisse me... renseigner. Sinon, je vous rendrais immédiatement une partie de votre or. Le reste reste à couvrir ma perte de temps. »

« Ensuite, le point le plus important, je ne garantis pas mon silence. Si quelqu'un veut votre peau et est enclin à me verser beaucoup plus que vous, je vendrais vos informations sans problème. » Une autre pause. « Un faux nom ou le silence ne vous sauvera pas, donc vous avez tout intérêt à sortir le grand jeu. »

Hanael ne réprima pas un rictus. Son client avait beau être intimidant, un véritable prédateur sous forme humaine, mais cela ne condamnait pas l'elfe à être une proie. Elle pouvait se montrer dangereuse dans ce corps frêle, mais loin d'être un loup, elle était plus le serpent qui prenait plaisir à injecter son venin.

 

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Hanael n'était pas forcément quelqu'un qui jouissait d'une grande prudence. Grande gueule dans tous les cas, sans la moindre exception, avoir une personne qui la plaque contre un support (que ce soit un mur décoré d'urine ou bien son merveilleux tonneau de vin) n'était pas inédit, et encore moins surprenant. Bien-sûr, l'elfe aurait préféré que la transaction se passe sans une once de violence, mais qu'y pouvait-elle, si ses clients étaient un poil trop susceptibles ? Au moins, elle avait l'honnêteté dont ses confrères et sœurs manquaient.

Ah, ces couards à la voix suave et aux douces promesses d'anonymat ; ils étaient les premiers à vendre leur clients pour une poignée de pièces. Hanael, elle, demandait au moins le quintuple avant de prendre au sérieux une demande de trahison.

Hanael réprima un air dégoûté en pensant aux autres informateurs, espérant que l'homme, qui arborait maintenant une mine meurtrière, ne le prenne pas pour lui. La situation était déjà assez délicate sans en ajouter une couche.

Elle leva timidement les yeux, le jaugeant un instant du regard, observant l'agacement suintant hors de son masque impassible. Les sentiments de son interlocuteur, enfin visibles, confirmaient qu'il n'était ni monstre ni automate, et l'informatrice ne put s'empêcher de se sentir un poil victorieuse d'avoir pu extirper ces émotions. Elle aimait les découvrir et les étudier, détruire les barrages que les personnes se construisaient autour d'eux. Cependant, Hanael ne fit aucune remarque la dessus, se contentant de rester immobile. Elle célébrait ses victoires dans le silence.

Sa position inconfortable cambrait son dos dans une posture douloureuse, et la peau de son cou était sûrement marqué de rouge. Une personne normale aurait sûrement hurlé ou au moins, tenté de se débattre, mais Hanael avait déjà commis cette erreur par le passé, et le résultat fut navrant.

C'était au début de sa carrière. Prise de court par un pirate un peu trop proche de ses sous, elle avait tenté de se dégager, pensant que l'alcool qu'elle lui avait offert le rendrait plus pataud. Pas assez, Hanael se souvint amèrement. Elle avait réussi à garder un certain avantage et a pu le mettre hors d’état de nuire après quelques coups de dagues bien placés, mais elle gardait, sous les plis de sa robe, les cicatrices de cette rencontre.

Hanael contint un reniflement dédaigneux face à ce souvenir peu glorieux. Elle voulait à tout prix éviter ce genre de désagrément –ce qui expliquait son calme et son immobilité, mais face à son client actuel, elle avait bien envie de réitérer son erreur. Elle souffrirait sans broncher quelques hématomes si c'est pour donner un coup de pied dans son entrejambe ou lui cracher dessus, bien dans les yeux. Crachat saveur bière de bas étage.

Elle verra bien ensuite comment survivre.

Mais manquer de prudence n'est pas synonyme de folie, et ainsi, Hanael se contenta de plisser les yeux, jetant un regard noir. Prise au piège et peu encline à avoir la nuque brisée pour un choix de mots déplorables, l'elfe finit par souffler, sa voix presque imperceptible sous la pression de sa gorge, « J'explique mes termes, mais ce n'est en aucun cas une menace. Tu peux les suivre ou partir, ça reste ton choix.  »

La politesse se dissipait de son ton et le vouvoiement s'était évaporé, mais ce qu'elle disait n'était pas faux. Comme elle l'avait expliqué précédemment, quiconque n'adhérait pas aux termes pouvait s'en aller, et Hanael prétendrait ne l'avoir jamais vu. Elle fronça son nez , réprima une nouvelle fois un reniflement. Apparemment les mots n'étaient jamais assez, et ses clients avaient toujours besoin de jouer les gros bras devant elle. Il fallait croire qu'à force d'utiliser leurs muscles, leur cerveau ne fonctionnait plus correctement.

Ses fins poignets commençaient à la faire souffrir, et le robinet du tonneau commençait à s'enfoncer dans son dos. Hanael soupira, tentant de contenir son adrénaline qui lui intimait de se débattre, de hurler, et se demanda quelles étaient les chances de s'en sortir vivante si elle donnait un coup de pied bien placé entre les jambes.

Elle portait d'épaisses bottes à talons, et pour elle, cela pouvait constituer une arme. Le seul problème, c'était que Hanael y tenait, à ces talons en cuir de dragon. Alors elle ne fit rien, se contentant d'observer du coin de son œil le ragoût qui brûlait.

HRP:

 

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Quelque chose n'allait pas, et c'était tout ce que Hanael pouvait réaliser, avant qu'une douleur fulgurante ne l’assomme presque. Il y eut ensuite une gifle, un coup de genou, elle ne pouvait savoir dans sa confusion si c'était peut-être un coup de couteau. Pas de sang pourtant, peut-être un poing alors –ce n'était pas comme si Hanael cherchait à deviner. Tout ce qu'elle voulait, en cet instant précis, c'était que la douleur cesse, et ensuite planter un couteau quelque part. Préférablement dans l'entrejambe de son client.

Son client, ce tortionnaire tyrannique, sadique, et un peu trop impulsif. Il cachait bien son jeu pourtant, avec sa voix suave et ses sourires charmeurs, mais maintenant, au-dessus de l'elfe immobilisée, le visage tout aussi froid qu'au départ, le seul mot qui vint à l'esprit fut demeuré.

Hanael avait l'habitude des personnes impatientes, peu bavardes et plus que souvent impolies. Ce n'était pas comme si l'elfe pouvait se vanter d'être l'incarnation de la bienséance non plus. Mais une telle colère, une telle violence, même pour un mercenaire, était quelque chose de rare. La plupart du temps, ça en venait aux poings, dans une rixe à peu près à armes égales, qui se finissait aussi vite qu'elle a commencé.

Mais ce soir-là, Hanael n'avait rien, n'était rien. Impuissante sous le regard calculateur de son agresseur, ce n'était pas une simple bagarre. C'était un prédateur qui fondait sur une proie ; un aigle sur un lièvre. Cela n'avait rien d'égal, c'était juste une démonstration de puissance pour clamer haut et fort qu'il contrôlait la situation. Lui, et personne d'autre.

Le sang pulsant bruyamment dans ses oreilles pointues ne lui permit pas de comprendre les mots de son client. Elle resta immobile, observant ses lèvres bouger, mais ne tentant pas à lire, figée par la peur. Son ventre se noua lorsque son poignet se brisa, et un hurlement, étouffé par la main plaquée sur sa bouche et rendu rauque par sa gorge sèche, se fit entendre.

Ce n'était pas pire que le jour où une dague s'était plantée dans ses côtes, mais la douleur, bien qu'estompée avec l'adrénaline, était présente. Elle détourna la tête, le regard sur son poignet tordu en un angle étrange. Les larmes lui montaient aux yeux, brûlantes derrière ses paupières, mais l'elfe se retint de les verser.

Hanael voyait trouble, et l'Immatériel semblait l'inviter. Elle n'était pas fatiguée, mais se sentait à la fois lourde et légère, avait chaud et froid en même temps. L'elfe contempla l'idée de se laisser sombrer dans l'inconscience, de laisser son client planté là, seul et sans réponses, mais, à peu près certaine d'avoir une commotion cérébrale avec les chocs répétés sur son crâne, Hanael n'était pas sûre qu'elle allait revoir le monde des vivants si elle se laissait aller.

Une pointe métallique se fit sentir sur sa gorge tuméfiée et sa joue gonflée, un peu trop froide contre sa peau malmenée, s'approchant du coin de son œil. Hanael reprit ses esprits, serra les dents, resta dans son silence, tentant de contrôler cette force qui l'appelait au fond d'elle, tout en ignorant les insultes qui proliféraient de son client, qui conclut par une question quelque peu rhétorique.

Oui, Hanael voulut répondre, loin de vouloir se concentrer à formuler une réponse correcte avec cette douleur lancinante partout sur son corps, oui, t'as été clair et maintenant va te faire foutre, mais elle se retint. À la place, elle tourna la tête lentement vers l'homme, attentive à ne pas laisser le surin s'approcher un peu trop près de son œil.

Elle garda son regard planté vers celui de son client un instant, avant d'essayer d’acquiescer. Hanael savait qu'il n'avait pas besoin de réponse, qu'il voulait juste montrer, une nouvelle fois, que sa désobéissance pouvait avoir des répercussions douloureuses, mais tant pis. L'elfe avait beau être fière, elle tenait plus à sa vie.

Cependant, il y avait un détail que tout le monde, y compris Hanael, semblait oublier trop souvent –elle était un apostat. Passer des années à se fondre dans la masse, à enfouir ses pouvoirs dans une vie ponctuée de médiocrité l'avait presque convaincue qu'elle était comme les autres.

Une odeur de brûlé commença à se faire sentir, et bien qu'Hanael crût, pendant un moment, que le ragoût avait moyennement apprécié d'avoir été abandonné sur le feu, elle réalisa très rapidement que cela venait d'ailleurs, plus près d'elle que de la marmite. Elle n'arrivait pas à voir exactement d'où, mais au-dessus de l'épaule de l'homme s'élevait une fumée de plus en plus épaisse.

L'elfe écarquilla les yeux, réalisant qu'elle avait perdu cette lutte entreprise contre ses pouvoirs, alors qu'elle allait s'évanouir, laissant alors sa magie se manifester. Hanael tenta de formuler une phrase cohérente et une excuse en même temps, de bouger sans perdre un œil, d'expliquer sans se prendre une nouvelle fois un coup.

Si brûler vivant son agresseur semblait être une excellente idée, elle aurait préféré si sa taverne, déjà grinçante et à moitié effondrée, n'avait pas à souffrir.