Enfermée dans sa prison aux barreaux invisibles, la blonde demoiselle n'est autre qu'un oiseau en cage qui se retient elle-même prisonnière pour le bien de la personne qui lui est la plus chère en ce monde, peut-être même la seule personne qu'elle connaisse vraiment sur le bout des doigts, son père. Dans une taverne ordinaire de Val Royeaux, la jeune Legrevain passe ses journées à piétiner le sol en bois miteux qu'il lui arrive parfois de brosser avec une énergie presque déconcertante, pour servir toutes sortes de boissons pour la plupart alcoolisées. Les dures tâches de la vie ne lui ont jamais fait peur, et c'est sans se plaindre qu'elle les effectue pour ne pas contraindre son père à trop forcer sur sa santé à son âge. Ses mains ne sont pas douces, ses robes ne sont pas ornées de dentelles ou autres décorations que les plus nobles s'offrent et exposent, et s'il fut un temps où elle aurait rêvé de pouvoir ressembler aux belles dames de grandes familles, l'envie lui est largement passée avec les années. Val Royeaux et sa communauté de gens modestes, a t-elle vu autre paysage que les rues de cette ville ? Jamais.


Yselda est née à Jader, mais ne pourrait en parler plus que ce qu'en a dit son père. La ville qui l'a vu faire ses premiers pas est aussi le lieu qui fut témoin de l'amour que se portaient ses parents. Sa mère les quitta dans les suites d'une maladie lorsqu'elle n'avait pas encore l'âge de courir, et aujourd'hui, comme tout au long de sa vie, la jeune femme n'a pour mère qu'un portrait étalé sur un support plat, rien de vivant, pas de chaleur, et surtout, elle n'arrivait à trouver aucun réconfort même les yeux rivés sur le visage de celle qui l'a mise au monde.
Val Royeaux était donc devenu son terrain de jeux. Son  père avait bouclé leur bagages dès que sa femme les avait quitté. Il fuyait en mettant à exécution le plan qu'ils avaient déjà prévu avant qu'elle ne tombe malade, Jader n'était pas un endroit pour y faire grandir une petite fille, mais après tout, lorsqu'on est pauvre, quel endroit est vraiment approprié pour ce faire ? Le père Legrevain, ne savait plus vraiment comment s'y prendre tout seul, il se sentait plus démuni que jamais, seul avec sa petite fille, et il dut pousser dans sa volonté de faire bien pour la mémoire de sa femme, pour réussir à se reconstruire un semblant de vie, et il fit preuve de courage face à la témérité de l'enfant. Yselda ne faisait que courir dans un sens et dans l'autre, lui faisant parfois déserter la taverne, la retrouvant perdue dans le coin d'une rue de la ville. Au fond, si elle était si turbulente à cet âge là, c'est parce qu'elle essayait de combler un vide, et plus les années passaient, plus elle souffrait de l'absence d'une mère à ses côtés, et voyant bien que son père souffrait peut-être plus qu'elle, elle ne se plaignait de rien, elle le voyait s'enfermer dans son deuil pour ne plus jamais en sortir. Surprotégée, Yselda fut presque isolée des autres enfants, elle passait ses journées à la taverne, à suivre les cours que lui donnait son père par dessus le comptoir, dans le bruit des discussions houleuses et dans le rythmes des fracas qui se limitaient tout de même plutôt bien.


Elle apprenait à s'ouvrir à différentes cultures, à parler avec des gens qu'elle ne pourrait croiser nulle part ailleurs, et finalement, à tomber amoureuse. Elle ne savait pas ce qu'était l'amour, elle ne le sait sans doute toujours pas, mais après des semaines à côtoyer Oswald, elle lui avait ouvert son cœur. C'était le genre de relation où l'un sait tout de l'autre, tandis que l'autre ne sait rien du premier. Yselda était transparente dans ses sentiments, et même si Oswald l'était aussi sur ce point la, il ne voulut jamais lui en révéler plus que son prénom, ne parlant que de ses quelques voyages et de ses sentiments à son égard. « Pas de questions, pas de mensonges », voilà ce qu'il lui disait, et cela ne rebutait pas plus Yselda que les quelques heures qu'elle passait loin de lui juste après lui avoir montré son désaccord. Son devoir l'appelait, et il se devait de quitter la ville, lui promettant de revenir au plus vite auprès d'elle, mais cinq ans plus tard, elle n'en a toujours aucune nouvelles. Elle ne sait pas ce qu'il a pu devenir, s'il est mort durant l'un de ses voyages, s'il a été fait captif quelque part, ou si tout simplement il n'a fait que profiter d'elle tout ce temps. La dernière hypothèse était la plus facile à supporter, et c'est celle qu'elle retint. La vie reprit son cours, elle n'avait que trop délaissé son père durant cette période, ainsi que le peu d'amis qu'elle avait, elle devait se ressaisir, c'est juste qu'elle avait l'impression de se sentir plus libre au bras de quelqu'un qui l'appréciait.
Depuis, elle reste celle qu'elle était, la vie est bien monotone à ses yeux cependant, et ils ne peuvent que pétiller aux récits enjolivés, des voyageurs qui fréquentent la taverne. Une inquiétude s'ajoute à la nouvelle situation qu'elle n'apprécie guère depuis le trépas de l'empereur, son paternel est de plus en plus souvent prit de quintes de toux difficiles à maîtriser, et sa peur prend de l'ampleur au fil des jours, parce que tête de mule qu'il est, il ne veut pas consulter pour ne pas gaspiller leur peu d'argent de côté. Définitivement, ses espoirs de voyage ne se verront jamais comblés.

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