elle aimait le calme qu'on y trouvait là bas, n'entendre que le doux brouhaha de la vie.
Larges, imposants, on les aurait crus sculptés à même la roche, arrachés aux méandres de la terre pour toucher le ciel de leurs cimes. Innombrables, ils recouvraient l'horizon, formant une prison végétale d'où la lumière et la pluie peinaient à filtrer. Comme figé dans le temps, le berceau sauvage avait su rester vierge de la folie des hommes, n'acceptant d'accueillir en son sein que ceux voulant vivre selon ses règles. Dans son peuple, on l'appelait la "mer d'arbres", rares étaient ceux cherchant à s'aventurer au-delà de son orée. On la décrivait comme le berceau de créatures terribles qu'elle n'avait pourtant jamais vu, d'hommes disparus dont personne ne pouvait attester l'existence et d'innombrables morts inexpliquées. Placide, Khaani répondait qu'il en était sans doute le cas de toutes les forêt. Il n'était certes pas facile de se frayer un chemin entre les racines et les rocs, mais jamais en ses dix années elle n'y avait croisé les démons qu'on lui imputait. Si, petite elle avait arborée l'idée d'y passer une heure seulement, elle savourait aujourd'hui chaque instant qu'elle y coulait. Elle aimait le calme qu'on y trouvait là-bas, n'entendre que le doux brouhaha de la vie et plus que tout, elle aimait le frisson, l'effervescence qui l'électrifiait lorsqu'elle s'y engouffrait. Depuis le premier jour où elle avait passé la lisière de cette forêt il y a dix années de cela, elle ne pensait qu'à y retourner.
elle attendait le moment propice pour décocher sa flèche. une seule suffirait.
Isolé, le museau dans l'eau clair du ruisseau à ses pieds, l'axis à quelques mètres de là semblait n'avoir rien sentit de leur présence. Masquée par les branchages du fourré d'où elle se tenait, arc tendu et souffle court, elle attendait le moment propice pour décocher sa flèche. Une seule suffirait. Adressant un signe au jeune homme qui l'accompagnait, elle lui somma en silence de ne plus bouger et de se taire. Du haut de ses 15 ans, il lui avait déjà fait perdre deux de ses cibles dans la mi-journée. Trop pataud, lent et passif qu'il était, il n'avait rien d'un trappeur et son obsession à vouloir continuer en dépit de tout bon sens l'énervait au plus haut point. Elle n'était pas bonne pédagogue, alors pourquoi lui avoir confié ce garçon gauche et incapable de tenir son arme correctement ?
Une goutte perla sur son front, dévalant son visage. Quelques secondes suspendue en l'air, étouffées par la moiteur des lieux. Elle s'apprêtait à frapper. Une seule flèche dans l’œil, pour ne laisser aucune trace. Ainsi, Luhla pourrait en faire une belle étoffe sans avoir à repriser le moindre accroc. Accroc pourtant il y aurait puisqu’à l'instant où elle tira, un craquement sourd derrière elle l'extirpa de sa concentration, alertant l'animal qui bien vite décampa, évitant de justesse la flèche sifflante qu'elle venait de décocher. Relevant bien vite son pied du branchage sec qu'il venait s'écraser, le garçon à ses côtés lui offrit un regard désolé, les lèvres tordues d'une moue de dépit.
"Tu ne sais pas rester tranquille plus de dix secondes ?!" grogna-t-elle, tournant vers le jeune homme un regard acéré. Par sa faute, ils n'avaient encore rien attrapé depuis qu'ils étaient entrés ici quelques heures plus tôt et le ciel venait à s'assombrir à présent. Il était mal vu de revenir bredouille, pourtant l'idée de fouler les sentiers de la forêt de nuit ne lui disait rien qui vaille. Cherchant des yeux la flèche qu'elle avait tirée quelques instants plus tôt, son regard cru accrocher une ombre au loin, si rapidement qu'elle se dit que son esprit lui jouait des tours.
"Je suis désolée Ravi, mais tu n'as rien d'un chasseur", conclu-t-elle d'une voix nette et sans appel. Dans un profond soupire, elle rabaissa son arc, ne cachant pas sa profonde contrariété.
"Mais c'est ce que j'ai envie de faire moi !" pesta le gamin, vexé d'un tel échec. Sur son visage, elle pouvait lire l'arrogance de la jeunesse dont elle avait fait preuve elle aussi, fût un temps.
"Ce que tu veux n'a pas d'importance" souffla-t-elle tout bas, elle accrocha son arc dans son dos, signe qu'il était temps de rentrer.
"Tu devrais le savoir depuis le temps". A son âge, elle avait déploré qu'on la désigne comme "Lame agile", les chasseurs de son village, elle avait compris avec le temps qu'il n'existait pour elle pas meilleurs choix. Elle n'avait pas hérité de sa mère la douceur ni l'application de ceux qui soignent, ni de son père la force de ceux qui bâtissent. Elle n'avait pas la main qui fait naître de la terre, pas plus que celle qui donne la vie. Il ne lui restait que la patience et la dextérité de ceux qui tuent pour vivre.
Il n'y avait pas la place ici pour les caprices et l'égo. Personne dans son peuple n'avait à faire ce qu'il voulait, mais ce pour quoi il était là.
figée, elle n'osait faire un pas de peur d'être avalée par la nuit à son tour.
"Fais attention où tu mets les pieds", susurra-t-elle à l'intention de son élève d'un jour, plissant les yeux pour mieux voir dans la pénombre qui engouffrait la forêt à mesure que le soleil déclinait. Elle avait été sotte de ne pas renoncer à cette partie de chasse plus tôt, sans doute le village lui tiendrait rigueur de son arrogance. Ne pas respecter une règle aussi simple alors qu'elle était accompagnée d'un apprenti lui serait très certainement reproché. Elle se dit qu'avec un peu de chance, elle n'aurait pu à s'occuper de tester les futures recrues. Au fond, elle ne pourrait pas leur en vouloir pour leur sermon, elle même en cet instant n'était pas en confiance avec la situation dans laquelle elle les avait mis tous les deux.
"J'aime vraiment pas ça Khaa. Je crois que j'ai entendu quelque chose..." murmura la garçon, tâchant de camoufler la peur qui teintait sa voix.
"Garde ton calme, on arrive bientôt ne t'en fais pas." La voix faussement sereine, elle tâchait de garder son air assurée, pourtant les chemins qu'elle pensait connaitre de mémoire ne lui disaient rien à présent. Elle commençait à douter des sentiers qu'elle prenait.
Les fourrés sur leur droite se mirent à bouger. Elle serra les dents pour ne pas céder à la peur, mais sous le cuir de ses gants ses doigts tremblaient.
ɤ
Figée, elle n'osait faire un pas de peur d'être avalée par la nuit à son tour. Lançant quelques regards paniqué partout où ses yeux pouvaient apercevoir autre chose que les ténèbres, rien n'y faisait. En un battement de cil, le garçon avait disparu.
"Ravi ?!" cria-t-elle d'une voix étranglée, trop paniquée pour réfléchir calmement à la situation. Une cacophonie pareille était bien la chose la plus sotte qu'elle pouvait faire dans cette forêt à la nuit tombée.
"C'est pas drôle tu m'entends ?? arrête !" Elle pouvait prétendre croire à une blague idiote, elle avait pourtant saisi son arc, priant pour que le garçon réapparaisse, son sourire goguenard habituel sur ses lèvres. Mais à le temps passait, les secondes qui, interminables, lui semblèrent être des heures entières. Il fallait faire fi de la peur et ramener Ravi coûte que coûte. Pourtant, du haut de ses 25 ans, elle se sentait telle la petite fille terrifiée par la nuit et les légendes de la forêt.
"Ils n'existent pas. Ce ne sont que des racontars. Des racontars bon à effrayer les enfants.", ces mots soufflés à elle-même, elle les ressassait en boucle pour se convaincre de ce qu'elle avait toujours cru au plus profond d'elle même. Une certitude lourdement ébranlée.
"Ils n'existent pas...", Ravi était simplement tombé et s'était évanouit, sans aucune doute, il était si maladroit... Et si une créature s'en était pris à lui, il s'agissait d'une bête quelconque, il était armé, il n'y avait pas de raison de le croire déjà mort.
là où le sang de la créature l'avait touchée, des marques brunâtres teintaient sa chair
En alerte, haletante, elle stoppa sa course, manquant de déraper sur le sol rocheux et glissant, recouvert de lichen. Plissant les yeux, le décors autour d'elle se muait en silhouettes floues dans la pénombre dévorante. Masqués par le bourdonnement de la faune de la forêt, des grognements sourds s'élevaient près d'elle. Deux ombres au sol, l'une d'elle qu'elle devina être Ravi. Il était là, à quelques mètres d'elle, se débattant sous le poids de la créature qui l'attaquait et dont elle ne pouvait discerner les traits. Elle remercia le ciel de ne pas avoir découvert son cadavre, puis, se retenant de faire le moindre bruit, elle arma une flèche, visant de ses mains tremblantes cette tâche sombre fondue dans l'obscurité, décochant sans attendre d'avantage. La flèche vint se planter dans sa chair dans un bruit sourd. Elle avait fait mouche. La bête hurla, un cri rauque et déchirant qu'on aurait cru venir d'outre tombe. Pourtant, elle ne bougea pas, tournant lentement son regard vitreux vers celle qui l'avait frappé. Des yeux jaunes posés sur elle telles deux billes froides, il brillaient d'une lueur qui lui glaça le sang. En un souffle à peine, elle s'était ruée sur elle.
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"Qu'est-ce qu'il s'est passé ?" La vieille femme s'approcha d'elle, elle avait cette sagesse et cette douceur propre à ceux qui ont traversé la vie. Sa seule présence en ces lieux l'apaisait. Khaani savait qu'elle n'avait pas à craindre le courroux de Nyree, qu'en tant que sage, sa réaction serait stricte mais juste. Après tout, c'était son devoir que de s'assurer que les erreurs ne soient pas reproduites.
"J'ai négligé les consignes et trop tardé avant de rentrer au village. Ravi aurait pu être blessé et j'en suis vraiment désolée. C'est ma fau... - Khaani tu sais de quoi je veux parler. Ne me répète pas ce que je sais déjà." trancha-t-elle d'une voix posée, elle approcha la seule source de lumière qui éclairait sa hutte, une bougie dont la flamme dorée dansaient frénétiquement. Tout cela s'était produit quelques heures plus tôt, pourtant ses souvenirs semblaient dater d'une autre vie.
La gueule béante de la créature, sa peau rêche et noire, ses yeux jaunâtre vitreux qui ne voulaient pas la lâcher. Quand elle fermait les yeux, c'est ce visage fantomatique qu'elle voyait. Ses griffes avaient pénétré sa chair, lacérant le cuir de son armure par endroit, pénétrant sa peau. Chancelant, elle n'entendait que son sang battre à ses oreilles, ne sentait que la douleur qui, pernicieuse, se disséminait dans son corps tout entier. Impuissante. Tremblante et le cœur lourd, elle avant attendu l'instant fatidique, persuadée que sa fin était venue. Pourtant les secondes étaient passées sans que la bête ne se décide à l'achever.
Elle aurait juré l'entendre gémir, plaintive, comme l'animal implorant qu'on l'achève. Paralysée par la peur, elle avait saisit son couteau à sa ceinture, le plantant dans la chair noir de son assaillant au niveau de la gorge. Une fois, puis une autre. Son hurlement s'était mué en un gargouillis étranglé et guttural, crachant son sang brunâtre et épais sur celle qu'elle tenait prisonnière de ses griffes. Brûlante, l'hémoglobine s'était répandu sur elle, s'insinuant dans les aspérités de son armure, puis dans un dernier souffle la bête s'était écroulée sous son propre poids. Suffocante, de longs instants, elle avait lutté de toute ses forces pour se défaire du cadavre avachit sur elle, en vain. Devant ses yeux, des multitudes de points blancs s'étaient mis à fourmiller. La dernière imagine imprimée sur sa rétine fut celle de la créature, puis elle disparu.
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Là où le sang de la créature l'avait touchée, des marques brunâtres teintaient sa chair, gravée sous sa peau. L'eau n'avait rien fait, pas plus que ses ongles avec lesquels elle avait griffé sa peau jusqu'au sang dans l'espoir de les voir disparaître. A la vue de ces dernières, l'expression impassible de Nyree se mua en un masque de profonde tristesse, une réaction qu'elle n'avait pu comprendre en cet instant et dont elle devinait toute la portée aujourd'hui. Sans doute avait-elle entrevu les prémices de ce qui l'attendait.
"Oh Khaani qu'est-ce que tu as fait..."
FRÉQUENCE DE CONNEXION ? ☩ 
CRÉDITS IMAGES ☩ marleen&tumblr
