Je suis née un matin comme les autres, ma mère avait fait ses corvées comme chaque jour et quand elle sentit le travail commencer elle s'éloigna pour me mettre au monde dans une remise éloignée de la maison. Une heure plus tard elle était à son poste, balayant la cuisine comme elle se devait de le faire, mais posé sur son ventre encore rond, ligoté dans une ancienne robe savamment cousue, on pouvait voir un nourrisson.

C'est peut être la discrétion de ma mère qui déteignit sur moi mais j'appris très tôt à ne pas pleurer, à ne pas me faire remarquer. Ma mère disait que quand j'avais faim ou sommeil je ne hurlait pas comme la plupart des bébés, je me contentait d'attraper ses cheveux. Je la soupçonne d'avoir un peu amélioré la vérité au fil des années mais je ne me souviens de rien.

Une bouche de plus à nourrir ce n'était pas pour plaire à notre maître, ma mère dut travailler davantage pour pouvoir me nourrir et dès que je fus en âge de me rendre utile je fus mise à contribution également. Ma mère semblait très obéissante, elle semblait avoir accepté son statut d'esclave et jamais elle ne répondait au maître ou au contremaître, un esclave comme elle mais qui nous donnait des ordres, mon père, même s'il ne le montra jamais, si toutefois il était au courant. Mais dans l'intimité de la nuit, quand les corvées finies nous allions dormir, elle me contait sa vie d'avant, sa vie dans les forêts, la nature, le chant des oiseaux, le bleu du ciel et l'océan de verdure que l'on pouvait voir du haut des montagnes. Elle me décrivait des paysages merveilleux, des montagnes si hautes qu'on traversait les nuages, des forêts si vastes qu'il fallait toute une vie pour les traverser d'est en ouest, l'océan, une immensité indomptée. Et moi seule savait la nostalgie qui l'habitait, l'envie de liberté, l'envie de rébellion.

Elle ne l'avait pas voulu ainsi, elle espérait que je serais comme elle, obéissante, mais très vite j'eus envie moi aussi de découvrir les merveilles qu'elle racontait, j'eus envie de rêver, car même cela nous était interdit, comment rêver sans avoir jamais rien vu de beau ? Comment seulement imaginer la liberté quand on n'a connu que les entraves ? Comment croire au bonheur quand vous n'avez pas un instant à vous, pas un instant qui ne soit consacré au travail ou à la survie ?

Je me rebellais, comme une jeune elfe de 12 ans peut le faire, sans grand talent. Je réussis à me faire fouetter, mais cela ne me brisait pas, alors ils trouvèrent la solution, ils fouettèrent ma mère, devant moi. Je ne me rebellais plus.

J'avais 15 ans quand une vie d'esclavage eut finalement raison de la santé de ma mère, elle mourut d'une pneumonie, rapidement, silencieusement. Je la pleurais puis je me rebellais, à nouveau, qui pouvaient-ils bien fouetter cette fois ? Je n'avais aucun ami, tous m'évitaient depuis ma première rébellion.

Ils ne fouettèrent personne, ils décidèrent de me vendre, il y a des marchands d'esclaves que la rébellion ne dérange nullement, ceux qui envoient les esclaves dans les mines. Je n'étais pas bien robuste mais cela lui suffisait, et puis ils ne demandèrent pas grand chose pour la rebelle que j'étais alors.

Ils m'emmenèrent à l'aube, me faisant marcher derrière leurs chevaux, la troisième nuit ils ne m'attachèrent pas avec assez de soin, c'était idiot de leur part, je réussis à me libérer et tuais celui qui montait la garde pour m'échapper. Mais que peut une elfe à pied face à des cavaliers ? Au matin ils me retrouvèrent, me rouèrent de coups et me laissèrent pour morte,  là, au bord du sentier sur lequel je tentais de fuir vers un inconnu qui ne pouvait être pire que ce que je connaissais.

Allongée dans l'herbe encore humide de rosée je regardais le ciel, si bleu, si pur, j'avais goûté la liberté et je ne regrettais rien. La douleur envahissait mon corps, je la sentais venir en vagues de plus en plus puissantes. J'avais un bras cassé en deux endroits, des côtes dans un état lamentable, si je vivais assez longtemps ma peau allait se couvrir d'hématomes violacés et une blessure au ventre me vidait de mon sang, lentement mais surement. Incapable de bouger je restais là, immobile, le regard tourné vers le ciel jusqu'à ce que le soleil m'éblouisse.

Je fermais les yeux, incapable de détourner la tête, respirer était déjà trop douloureux et la mort serait une délivrance, je l'attendais, l'espérais, la désirait. Mais une ombre vint s'interposer entre l'astre solaire et mes yeux clos, je pensais à un nuage, ouvris les yeux pour m'en assurer et me trouvais nez à nez avec un étrange animal.

Il était fin, élancé et pourvu de bois impressionnants et son pelage semblait fait de fils d'or à la lueur éclatante du soleil de midi. Il me regarda un instant et s'enfuit. Aux contes de ma mère je sus que j'avais vu un hahl. Je souris à cette idée, du moins mentalement, mon visage n'était pas en état de faire une telle action. Je sombrais dans l’inconscience lentement sans même m'en rendre compte.

Je me réveillais dans le noir, il faisait nuit pensais-je d'abord, avant de remarquer que le sol sous mon dos n'était plus si dur, il était même moelleux, j'ouvrais les yeux et je compris. J'étais dans une cabane, il y faisait agréablement frais. Non loin de moi une vieille elfe me regardait, elle m'ordonna de ne pas bouger, de ne pas m'inquiéter, qu'elle me soignait, que j'allais survivre. Je ne la croyais pas, mais j'obéis, je n'avais pas la force de faire autre chose.

Elle ne mentait pas, elle me sauva la vie, guérit toutes mes blessures, m'appris la confiance. Je découvris que tous n'étaient pas comme mon père, comme les autres esclaves qui m'évitaient, il existait des gens comme ma mère.

Elle m'apprit ses secrets, ceux de la nature, ceux des plantes, elle me fit découvrir un monde qui surpassait les contes de ma mère et ma pauvre imagination. J'appris à soigner, à concocter onguents et cataplasmes, à recoudre une plaie comme on coud une robe, à cautériser, à récolter des plantes aux noms étranges ou évocateurs, à réduire en poudre des minerais forts utiles, j'appris à vivre.

L'âge finit par l'emporter, elle sentait la mort approcher lentement, pas à pas, elle ne voulait pas attendre, déjà ses doigts noueux et enflés refusaient d'attraper les objets, ses jambes ne la portaient plus, elle m'expliqua comment préparer un poison rapide et silencieux, un poison indolore qui l'aiderait à s'endormir à jamais. J'avais désiré la mort en mon temps et je savais que la sienne ne pouvait être évitée, j'acceptais donc et lui tins la main quand elle quitta notre monde pour l'Après.

Je quittais alors la cabane qui n'avait plus rien à m'offrir que le chagrin et la nostalgie d'une vie plus belle que tous mes rêves.
Marchant la nuit et dormant le jour je finis par quitter l'Empire, entrée en Orlaïs je n'étais plus une esclave en fuite, je n'étais qu'une elfe comme les autres.

Une elfe parmi des milliers d'autres dispersés aux quatre vents ou regroupés dans des bas-cloîtres citadins, ne vivant guère mieux que des esclaves. Ma vie dans la cabane me manquait, j'avais l'espoir de trouver un lieu où m'installer, où construire une telle cabane, où vieillir en paix, loin de l'agitation des villes et de la misère du bas-cloître.

C'est en cherchant un tel lieu que je rencontrais deux elfes, la première semblait plus âgée encore que celle qui m'avait sauvée, elle était chaleureuse et aimable. L'autre était jeune, il se présenta comme l'Archiviste, le chef de ce clan composé de 2 personnes. J'aurais pu sourire mais je ne le fis pas, son regard trahissait la tristesse. Il me proposa de me joindre à eux, il était aimable, poli, mais un peu froid. Peut être ses responsabilités d'Archiviste, peut être son jeune âge, peut être ce qu'il avait vécu auparavant, ou bien simplement la méfiance vis à vis d'une étrangère.

La vie de nomade ne me tentait pas mais voyager à 3 était moins dangereux et la solitude me pesait, j'acceptais donc, sachant que je pourrais partir si je trouvais l'endroit idéal où m'installer.

Harand m'appris ce que j'ignorais encore des soins et cataplasmes, je découvris que les hahls m'appréciaient, ils venaient vers moi naturellement et me parlaient d'une façon que je ne saurais décrire qui me parait aussi claire que la voix de Serani.

J'ai appris à aimer la vie nomade, je ne pense plus à partir maintenant, même si la mort de Serani m'a bouleversée.
D'autres nous ont rejoint, Panoriel et Paiven d'abord, frères et soeurs. J'aimerais être comme elle, aussi forte, aussi intrépide. Paiven dit que je le suis mais c'est un beau parleur.
Ensuite il y a Admael, un chasseur, il faisait partie d'un autre clan dalatien mais il a rejoint le nôtre. Je ne sais pas pourquoi, il est toujours si sombre, si discret.... Récemment nous avons accueilli Aerin qu'Harand a pris sous son aile, c'est sa Première, celle qui le remplacera à son trépas et j'ai beaucoup de respect pour elle.

Ma vie est désormais avec eux, sur les chemins, au cœur des forêts de légende dont ma mère me parlait le soir. Et cela dépasse mes rêves les plus fous, tout ce que ma pauvre imagination mal nourrie pouvait inventer. Je crois que je suis heureuse.....Malgré les cauchemars qui me tiennent éveillée la nuit, malgré la peur qui me brûle les entrailles quand je croise un humain, malgré la douleur sourde dans mon bras dès que le temps est humide. Oui...Je crois...Je crois que je suis heureuse.

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