Le soleil chatouille le bout de son nez, fait luire la blondeur de ses mèches; son réveil est doux et agréable, comme elle les aime. Elle tire son sac, calé contre une grosse branche près d’elle. Juchée dans l’arbre, elle s’éveille, s’assure qu’aucun indésirable n’a fait son nid dans ses affaires pendant qu’elle somnolait. Dépourvue de toit fixe, mais exécrant les humains et leurs tavernes s’apparentant davantage à des porcheries, elle élit domicile dans la forêt, loin des barbares, en communion avec la nature. De toute façon, il n’y a guère compagnie à trouver en ville, entre les Hommes et leurs esclaves elfiques entassés dans les bas-cloîtres; autant se délecter du babillage des ruisseaux et des piaillements enjoués des oiseaux plutôt que des grognements de quelque ivrogne aux mains baladeuses.
Sous elle, quelques mètres en deçà de son perchoir nocturne, des bruissements, des voix étouffées. Elle hausse les épaules, hoche la tête malgré l’absence d’auditoire. L’heure est parfaite pour la pêche dans les petits lacs frétillants – lorsque poissons et batraciens s’éveillent et réalisent leur soudain appétit. À travers les branches, elle aperçoit l’arsenal du groupuscule. Lourdement armé. Peut-être s’était-elle fourvoyée. Néanmoins, si elle n’est point la cible du mépris de ces humains, elle préfère ne pas y fourrer son nez… ou ses oreilles.

Elle ramasse quelques fruits, cueille les noix qui sont à sa portée dans ce bosquet qu’elle habite temporairement, afin de s’improviser un petit-déjeuner qui la soutiendra jusqu’à sa première prise du jour. Elle a promis à une bouchère d’un village adjacent qu’elle lui rapporterait quelque prise de choix – peut-être un lièvre dodu ou une paire de tourtes malchanceuses – contre un repas en soirée. Autant ne pas chômer si elle ne souhaite pas dormir, encore une fois, sur un estomac bien trop vide.
Elle descend d’une branche et sursaute : une voix de femme, un cri déchire la forêt. Ces hommes qu’elle a vus passer avaient donc un autre genre de proie en vue… Elle serre les dents. Autant ne pas s’en mêler – s’éclipser pendant que les malfrats sont occupés ailleurs. L’elfe passe de branche en branche pour s’approcher du lieu du crime. En contrebas, un groupe de voyageurs s’est fait prendre au piège par les hommes, qui ne semblent pas vouloir seulement leurs bourses. Ishtari soupire. Ce petit manège, elle le voit trop souvent. La folie des hommes, leur désir d’avoir toujours plus n’a donc aucune limite? Son regard perçant se pose sur les victimes, un petit nombre d’elfes, pris au dépourvu. À voir leurs tatouages de sang, il est évident qu’ils ne sont guère citadins en cavale. Des dalatiens. Or, leur cohorte est trop petite pour qu’ils soient en migration vers un autre nid.

Elle n’en peut plus; sa curiosité l’emporte et, alors que deux badauds prennent en otage deux des pèlerins, elle se laisse tomber de sa branche, retombant souplement sur le sol non loin de la scène. Les malfrats semblent surpris, mais n’attaquent pas la nouvelle venue. Ishtari regarde d’abord les elfes, puis leurs agresseurs. « Ho, humains », les salue-t-elle. « Les dalatiens ne sont pas un peuple qu’il fait bon détrousser; nos possessions sont maigres. » La situation sera peut-être difficile à désamorcer, or, l’essai s’impose.

« T’veux quoi, l’autre? » se moque le chef. « Tu viens défendre tes p’tits amis? » Ils rient d’un gosier rêche et guttural, aux dépens de l’arrivante, qui fronce les sourcils. « J’ose défendre qui je veux de l’intimidation d’une poignée de forbans », crache-t-elle, du tac au tac, vindicative.

Peut-être, en fait, creuse-t-elle la tombe de ses congénères.