Encore une fois ma mère me prenait pour une mule, je devrais être habitué avec le temps, mais j’avais toujours cet espoir qu’elle ne tenterait pas de m’arnaquer. Elle m’avait demandé d’aller chercher sa commande et avait pourtant refusé que je l’emmène chez elle. Elle m’avait dit : «Mon chéri, pas la peine de faire un détour, je vais venir tout chercher cette fois, un ami me doit justement un service! » Et me voilà deux jours plus tard, son matériel trainant encore dans ma demeure et ma mère qui me demandait de tout emporter chez elle. Je n’avais plus la force à m’obstiner avec elle, Elissa finissait toujours par gagner à ce petit jeu. Elle pourrait au moins éviter de me faire perdre mon temps, surtout quand je propose mon aide, mais il semblerait qu’une mère ne fonctionne pas ainsi ou du moins, la mienne ne fonctionne pas ainsi.

Il m’avait fallu faire trois voyages pour tout emporter, j’en profitais pour écouter les dernières nouvelles. Les passants discutaient d’un possible mariage, quelques mages n’avaient toujours pas été attrapés et ma mère profitait encore de moi. Je ne plaisante pas sur le dernier point, certains habitants nous connaissaient, ils s’étaient habitués à mes allers-retours. Je ne pus m’empêcher de sourire en attendant cette critique. Par la suite, je croisais des femmes qui soupçonnaient leurs maris d’être infidèles, je n’aurais pas le raisonnement qui les avait conduit à cette hypothèse. Les potins de la ville m’avaient laissé entendre que quelques templiers interrogeaient le peuple sur un mage en fuite. Je n’avais pas envie de me faire interroger, ils avaient le don de m’énerver.

En revenant chez moi, je croisais deux femmes qui discutaient d’une rencontre récente : «Personnellement, je l’ai trouvé vraiment mignon» dit l’une des jeunes femmes, ses propos fit rapidement réagir la seconde femme : «Oublie, c’est un templier, ils ne pensent qu’à chasser les mages! » Elle rigola en disant ses mots. «Je sais, de toute manière, il est trop grand pour moi, il me faudrait une échelle chaque fois que je voudrais l’embrasser» Son amie ne put se retenir, laissant entendre un éclat de rire. La jeune femme n’était pas réellement grande, difficile de savoir s’il était réellement grand. Elle reprit soudainement son délire : «Je m’en fiche, j’adore ses épaules carrés, sa belle gueule, ses yeux d’un bleu pénétrant et même sa voix grave… Je pense que je vais devenir templière» Les deux amies ce mirent à rire alors que personnellement ses propos me fit légèrement froncer des sourcils. Quoique, si je voyais un jour un templier court sur patte à la démarche étrange, je comprendrai qu’il s’agit d’elle. Je continuais mon chemin, heureux de ne pas m’avoir fait embêter par un templier, mais cette réjouissance serait de courte durée. J’essayais de faire comme si je ne l’avais pas vu, mais il est difficile de faire semblant qu’on ne voit pas une personne lorsque celle-ci se trouve en face de vous et qu’elle se montre insistante. Observant le jeune homme dans les yeux, ce fut machinalement que je répondus des mots qui semblaient l’intriguer ou du moins le laisser perplexe.

«Je suppose qu’elles parlaient de vous»

Je venais d’entendre deux jeunes femme parler d’un templier et tout portait à croire que cela était assez récent, de ce fait, il était normal que je le croise. La description qu’avait donnée l’une des femmes semblait aller, du moins je supposais. L’homme avait les yeux bleus, on pourrait parler d’un regard pénétrant. Bien que j’aie l’impression d’être légèrement plus grand que lui, il dépassait la norme et si on compare à la jeune femme, la différence était encore plus importante. Je dois avouer que la voix n’était aucunement juvénile. En ce qui concerne tout le reste, il était difficile de s’y fier. Comment parler d’épaules carré lorsqu’elles sont cachées sous une armure? Et en ce qui concerne son joli visage, cela dépendait de l’appréciation personnelle. Je suppose que ça pouvait coller, il n’était pas repoussant. Il était grand et avait les yeux bleus, il avait de forte chance que ce soit la même personne.

Val Royeaux. Une cité fleurissante, grandiloquente, où le poids des apparences l'emporte toujours sur les circonstances et où la vérité ploie sous les coups de rumeurs habilement propagées. C'était le nombril d'Orlaïs. Il y avait d'abord la ville en elle-même, une curiosité architecturale qui illustrait toute la richesse de l'Empire, tant culturelle que matérielle. L'Université, la Flèche Blanche … La Grande Cathédrale aussi, qui en était le plus bel exemple. Ses tours imposantes se voyaient à des kilomètres et on y chantait, assurément, le plus beau Cantique de Thédas. Et puis il y avait ses habitants. Les Royans …
« Non, dame Neuder, Baudry n'est pas un apostat ! Pour l'amour d'Andrasté ; il ne l'était pas le mois dernier, il ne le sera pas demain ni dans une semaine ! Le seul danger que votre fils incarne pour Orlaïs, c'est - Cléon se ressaisit avant de terminer sa phrase. Sa faculté d'engendrer, allait-il déclarer.
Les Neuder étaient une famille d'aristocrates emmanchés. Val Royeaux grouillait de ce genre d'individus. Littéralement ; un de plus et, éventuellement, Orlaïs s'effondrerait sur elle-même. Ils sollicitaient CONSTAMMENT la Chantrie pour des billevesées, l'assommaient de revendications ridicules … une PLAIE. Et quand l'un d'eux tombait, envoyé par le fond par les machinations d'un autre, vous aviez à peine le temps de souffler que dix vautours s'en disputaient la relève.

Quand bien même, s'attirer leurs foudres n'était pas une solution acceptable. Cléon serra le poing et prit une grande inspiration. Un sourire cassant sur les lèvres, il fit de son mieux pour dissimuler son mépris. Le résultat n'était pas très concluant.
« Très bien. Je vous souhaite une très bonne journée. »
Sur ces mots, il tourna les talons. Cléon ignora la mine outrée de dame Neuder. Elle le tourmenterait plus tard ! Qu'elle prenne donc le temps de formuler ses protestations. Quant à lui, du temps, il en avait perdu bien assez. Cléon avait une mission à accomplir. Malheureusement, elle le condamnait à interpeller d'autres névrosées dans son genre. Créateur –- cette journée était un calvaire interminable.
Justement, en parlant de névrosées. Le templier réalisa qu'il revenait sur ses pas quand il distingua deux bonnes femmes à l'horizon ; il s'en souvenait bien, elles lui avaient tenu la jambe pendant près d'une heure. Cléon n'avait rien tiré de ce face-à-face. Elles ne savaient rien des apostats en fuite et leurs simagrées l'irritaient prodigieusement. Elles avaient ce rire flûté exaspérant, cette obsession pour … de … non, vraiment, il ne les supportait pas. Il décida de les contourner.

Alors qu'il empruntait une voie plus discrète, il se retrouva nez à nez avec un passant. C'était un homme assez jeune. Moins de la trentaine. Cléon, dans son armure imposante, occupait l'intégralité du chemin ou presque. Normalement, il se serait rangé sur le côté pour lui céder le passage, mais voilà … tout indiquait que l'homme ne voulait absolument pas lui parler. L'irritation qui crispait son visage, surtout. Il considéra l'inconnu. Dissimulait-il quelque chose ? Oui ! Peut-être … ? Y avait-t-il une petite, toute petite chance que derrière cette exaspération se cache la moindre information sur l'évasion des mages ? Si cet homme le laissait dans le doute, s'il était suspect, Cléon se devait d'intervenir.
« Une petite minute, l'interpella le templier. Il s'éclaircit la gorge et répéta, pour la vingt-et-unième fois. L'Ordre est à la recherche de mages en fuite. Il y a de fortes chances que ces apostats tentent de rejoindre leur famille, ici, à Val Royeaux.
- Je suppose qu'elles parlaient de vous. »
- Pardon ?  Cléon marqua une pause. Il n'était pas connu pour sa perspicacité, aussi ne fit-il pas la connexion avec petite-dodue-qui-veut-devenir/marier-un-templier. Un peu perturbé par cette interruption, il reprit maladroitement son laïus.
- Avez-vous … Hu-h-huumm. Avez-vous déjà été témoin d'agissements suspects ou sortants de l'ordinaire ? Avez-vous assisté à l'utilisation de rituels magiques, ou de lyrium au cours de ces derniers jours ? »
Le templier croisa les bras, histoire de bien souligner l'absence d'issue. L'homme devrait répondre à ses questions avant de reprendre sa route. Ou bien, il pouvait encore rebrousser chemin en courant … mais Cléon n'avait pas particulièrement envie de se lancer dans une course poursuite en armure lourde.

Il m’arrivait parfois de cacher mon amusement à certaine personne, le but était de ne pas les offensés. Je ne pris pas la peine avec lui, après tout c’était un templier. J’avais adoré son petit air niais lorsque je l’avais interrompu avec ma réflexion personnelle et je recommencerais n’importe quand, simplement pour le revoir. En réalité, ce n’était pas simplement son expression qui m’avait amusé, mais aussi la manière dont il avait prononcé le : «Pardon?» Il aurait dit : «Je n’ai rien compris» que cela aurait été similaire. Dans un moment de faiblesse, j’avais décidé de lui répondre poliment et d’expliquer la situation, mais il ne m’en laissa pas le temps, il préféra reprendre là où il s’était arrêté.

« Avez-vous … Hu-h-huumm. Avez-vous déjà été témoin d'agissements suspects ou sortants de l'ordinaire ? Avez-vous assisté à l'utilisation de rituels magiques, ou de lyrium au cours de ces derniers jours ? »

Ses paroles semblaient des plus confuses, il dut même reprendre sa tirade. Si je comprenais bien ses mots, il devait chercher des mages en fuites, confirmant ainsi les rumeurs que j’avais entendues plus tôt. Je n’avais pas eu l’honneur de croisée ses mages, alors il me suffisait de dire la vérité pour me débarrasser de lui. Si je restais calme, j’aurais la paix en quelques secondes et pourtant… J’avais envie de m’amuser et il semblerait qu’il pouvait être une excellente source de distraction. Je trouverais bien une manière de m’en débarrasser s’il commençait à s’énerver. S’il avait vraiment un ou des mages en fuite, le distraire quelques instants pouvait les aider. Le bon sens me disait de réponde à ses questions, mais ce n’était pas cette partie de moi qui gagna.

« Bien je dois avouer que j’ai entendus et vu certaines choses sortant de l’ordinaire. Il avait une fille qui voulait se faire un templier, après un homme en armure qui semblait avoir de la difficulté à suivre ses propres pensé. En ce qui concerne votre manque de lyrium, je ne peux rien faire »

J’étais curieux de savoir ce qu’il répondrait à ses mots. Comprendrait-il immédiatement que je me moquais de lui ou bien recommencerait-il tout depuis le début? Quelle était sa limite? J’observais mon interlocuteur avec intérêts. Il était possible qu’à un moment je dépasse les bornes, mieux valait ce préparé au cas où. Je dois avouer aussi qu’il avait une raison plus perverse derrière cela, ne pas manquer le moindre de ses gestes. Certaines personnes serraient les dents quand elles étaient irritées, d’autres tapotaient du pied s’ils étaient impatients, on a tous nos petits tics qui peuvent nous rendre intéressant. Les templiers n’échappent pas à cette règle et sûrement pas lui, puisqu’il avait déjà commencé. Ses bras croisé pour m’empêcher de passer, ainsi que sa difficulté à se concentrer. Il fallait aussi trier avec la situation, ses pensées pouvaient devenir plus claires s’il n’était pas interrompu, ce que je ne saurais pas immédiatement. J’étais curieux de savoir lequel de nous deux se lasseraient en premier.