Elle courait plus vite que ses jambes encore gringalettes d'enfant mal nourrie ne lui avaient jamais permis, traversait les ronces qui lui fouettaient le visage comme si elle y était insensible, n'arrêtait même pas d'avancer lorsqu'elle trébuchait contre une racine ou tombait d'une pente raide. Si elle se retrouvait au sol, elle roulait, s'écrasait contre un arbre pour reprendre pied, et filait à nouveau à la vitesse d'une flèche. Elle n'avait pas peur de se salir, de s'écorcher, la gamine. Elle n'avait pas peur de de se blesser. Toute son enfance, elle avait joué dans ce territoire que certains disaient maudit. Mais quelque chose dans la lumière tamisée du crépuscule, quelque chose dans l'escouade de guerriers qui était partie à ses trousses ne lui inspiraient qu'une seule émotion : la terreur.

J'pouvais pas m'en empêcher. J'ai même pas eu le temps de penser que j'étais déjà en train de grimper en sens inverse le mur de derrière de l'auberge. J'sais que quelques habitués ont tenté de retenir les Templiers, j'ai entendu. Mais ils peuvent pas faire grand-chose de plus. C'était pas avec la violence, c'était juste avec leurs bras. Ils savent que j'veux pas m'en aller. Ils savent que j'ai rien fait pour être comme moi, ils savent que j'suis pas méchante. J'ai pas fait exprès. Et c'est pas comme s'ils les croyaient non plus. J'suis normale, moi. Je fais juste guérir un peu plus vite que les autres, c'est pas magique. J'suis pas une sorcière. Non ? De toute façon ça sert plus à rien. J'ai pas écouté Ma et Pa, encore. J'ai couru. Sauf que ce soir c'est pas un jeu. C'est pas amusant. C'est juste effarayant. Y'en avaient qui m'attendaient, quand j'suis sortie. Mais j'suis habituée de jouer avec les enfants des nomades et des marchands. Des lourds chevaliers sont pas capables de m'attraper. J'ai juste roulé et il est tombé dans la face. J'aurais ri si jamais il avait pas d'épée. J'veux juste pas partir. J'aime ma vie ici. Et même si je sais que Pa a toujours voulu me dire que les princesses vivaient dans les tours, j'ai pas envie de devenir une princesse. J'veux continuer à écouter les histoires des rôdeurs, à jouer avec les gamins itinérants, à me faire appeler Lentilleuse. J'veux pas devenir une princesse...

Je fonce encore dans un arbre, mais je m'arrête pas. Il fait tellement noir qu'on voit rien, mais en plus mes yeux sont mouillés. J'épleure. Pas parce que j'ai mal, c'est que les chochottes qui épleurent quand ils ont mal. Peut-être que c'est à cause de la forêt. J'ai pas le droit d'y aller quand il commence à faire noir. À cause des monstres. Et c'est pas vrai, ce que je dis tout le temps de Pa et Ma. Ils étaient des grands aventuriers capables de tuer les monstres avant, mais là ils ont perdu leurs talents. C'est Ma qui me l'a dit. Et Papi il a failli marier la princesse des nains dans sa jeunesse, quand il était beau et fort et mieux que tout le monde. Mais j'aime faire croire aux gens qu'ils sont encore comme ça, dans ma famille. Parce que sinon, c'est qu'en réalité, j'ai peur des monstres de la forêt. Je veux pas qu'ils me mangent. Ou qu'une vraie sorcière me transforme en crapaud. Si jamais je cours assez vite... peut-être que ce sera les Templiers qui se feront avoir, non ? Je sens déjà leur peur de me suivre dans la forêt. Peut-être que...

Je tombe fesses premières dans un étang.

J'essaie de me relever dans l'eau boueuse, mais mes pieds se prennent dans ma robe trop grande. À chaque fois que je me lève, je retombe un peu plus creux dans mon trou. Mon coeur commence à s'affoler, je sens plus mes doigts et mes pieds à cause du froid. Mes yeux mouillent encore plus, ma gorge lance des petits gémissements d'oiseau. J'ai peur... J'ai vraiment trop peur... Je veux rentrer à la maison, je veux juste rentrer chez moi ! J'me débats, j'me débats fort, mais plus je gigote et plus je m'enfonce dans la boue. Et derrière moi, un gros arbre mort m'empêche de m'en aller plus loin. Je les entend arriver... Mais je peux pas les voir. Il y a trop de brouillard, il fait trop noir. Y'a pas de lune. Je veux juste que le Créateur me dise quoi faire, que peut-être il va m'aider à faire comprendre aux méchants qu'ils sont là pour rien...

Mais je les entends. Les monstres. Ils viennent aussi. Ils viennent me manger parce que j'ai pas été sage. Ils viennent...

Les larmes poussent à flots sur mes joues de Lentilleuse.

Une forme surgit du brouillard.

Je pousse un cri effarayé qui déforme mon visage.

"Hé, hé..." dit une voix.

C'est pas une sorcière. C'est un humain. Il avance.

C'est un templier ; je me calme pas du tout.

"Je ne veux pas te faire de mal", promet-il en tendant sa main.

Je vois sa tête. C'est un poudré, un nomble. J'aime pas les poudrés, ils parlent bizarrement et ils sentent toujours étrange. Mais lui il a l'air gentil. Alors je fais que tomber sur les genoux, secouée comme quand Ma me bicoune parce que j'ai fait une bêtise. Parce que j'ai froid, parce que j'épleure. Parce que je suis fatiguée de courir. Mes dents claquent ensemble, et je lève des yeux implorants au pète-sec.

"Tuez-moi pas...," je lui supplie. "Je voulais pas m'enfuir, j'avais juste pas envie de partir..."

Il me fait un sourire. Pourquoi il sourit ? J'ai pas fait de blague.

"C'est normal," qu'il dit. "Mais il ne faut point avoir peur."

Je renifle.

"Je vais pouvoir revenir voir Pa et Ma ?" je demande.

"Non," il admet.

Je baisse la tête.

"Alors allons-y vite," je dis sans émotion.

"Juste comme ça ?" il se questionne.

"T'as dit la vérité," je souffle d'une voix faible. "T'as pas fait croire d'histoires. Alors j'te fais confiance."

Elle lui tendit la main. Le jeune homme l'attrapa, la serrant d'une pression paternelle. Il n'était qu'à peine entré dans les rangs, mais il semblait déjà si sûr de lui que la fillette ne craignait rien. Elle semblait accepter son sort avec maturité, avec résignation, maintenant que le choc était passé. Mais elle ne voulait pas revenir à l'auberge, elle ne voulait pas revoir le visage de ses parents qui pourrait lui faire changer d'idée. Ainsi prirent-ils la route tous les deux. Eux, deux êtres entièrement différents, la gamine de douze ans et le Templier, à l'orée de marais à sinistre réputation. Parce que l'un avait fait preuve de pitié. Et que l'autre avait fait preuve de courage. Et c'est à cet instant, alors que leurs pas s'enroulaient dans les rubans de brume et qu'ils se savaient invisibles au monde lui-même, que notre histoire commença.

PSEUDO ☩ morning glory, MAIS APPELEZ-MOI HÉLO    AGE ☩ 18 ans    COMMENT AVEZ-VOUS DÉCOUVERT LE FORUM ? ☩        FRÉQUENCE DE CONNEXION ? ☩ Là en ce moment je fais le NaNoWriMo et je suis en fin de session donc BON HEIN Mais sinon habituellement je suis toujours connectée    CRÉDITS IMAGES ☩ PATHOS & lou-59 (bazzart)

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