Un regard jeté sur Paiven pour s'assurer qu'il dort profondément, elle se lève et quitte la chambre en prenant le soin de faire le moins de bruit possible. Elle le sait, s'il apprend quoi que ce soit, il ne lui pardonnera jamais… Mais les boulots qu'ils enchaînent à longueur de journée ne paient pas de quoi de vivre. On les paie une misère pour un travail de longue d'haleine parce qu'ils sont des elfes, et même si le boulot est toujours exécuté correctement, jamais on ne leur accorde un petit plus. Et il faut avancer pour mettre le plus de distance entre Val Forêt et eux… elle doute qu'on la poursuivra loin ou longtemps, elle n'a récupéré qu'une infime partie de l'argent ce soir-là et probablement qu'ils ont juré sa mort plus à titre d'exemple que pour véritablement retrouver cet argent. Mais un retour à Val Forêt est inenvisageable. Et d'ailleurs, il n'en reste rien de cet argent dérobé, ça a payé les lourdes étoffes chaudes dans lesquelles ils s'enroulent la nuit pour dormir et les bottes de meilleures factures pour marcher; et le reste, la nourriture pour leur voyage. Il ne leur reste presque plus rien et ils ne parviennent pas à mettre assez de côté. L'hiver approche pourtant, et il leur faut trouver une solution pour passer cette période. Il devient déjà de plus en plus dur de dormir dehors et souvent, elle se réveille, transie de froid et tremblante, au beau milieu de la nuit, et ça malgré le feu non loin d'eux. Depuis quelques jours, dans un village non loin de Verchiel, ils travaillent tous deux dans une auberge. Ils sont nourris, deux repas par jour, et logés (dans la grange), mais au moins ont-ils un toit sur la tête. Elle est en salle et sert les clients et s'occupe des chambres, chante parfois le soir pour animer, lui en cuisine le midi et le soir, occupé à d'autres travaux en journées. Les journées sont longues et le travail ingrat.

Et puis les Chevaliers sont arrivés. Forts de leur arrogance et se complaisant dans leur plein pouvoir.  L'ambiance à la taverne a changé quelque peu quand ils sont entrés et ont décidé de rester une semaine. Panoriel les a observé entreprendre sans aucune subtilité les femmes de chambre. En réalité, elle-même n'échappe pas aux regards insistants et aux mains qui s'attardent un peu trop longtemps sur les fesses, mais elle ne joue pas les effarouchées comme les autres. Elle se contente de fixer bien droit dans les yeux l'homme coupable sans jamais rien dire. Que pourrait-elle faire, d'ailleurs, elle, une elfe contre la toute puissance de ces hommes ? L'idée, pourtant, s'est rapidement frayée un chemin dans son esprit, et puis ça lui a semblé comme une évidence. Alors, elle laisse Paiven endormi dans la grange pour rejoindre la taverne et se faufiler dans une des chambres. Il l'attend, elle le laisse faire, et quand au petit matin, elle sort de la chambre, en plus des quelques pièces d'or qu'il lui a laissé, elle a caché la bourse dans les plis de son corsage.

« Paiven, réveille-toi, on part. »



Elle les scrute, le visage fermé, et garde le silence. C'est ça, les dalatiens ? Trois perdus qui campent au milieu de la forêt ? Elle jette un vague regard à Paiven qui lui répond par un sourire lumineux : depuis le temps qu'il rêve de vivre comme leurs ancêtres et qu'il lui parle de renouer avec les traditions, il a déniché le clan dalatiens le plus petits de tout Thédas. Trois elfes, dont une à moitié morte, déjà. Elle a la main serre sur la garde de sa dague, à sa ceinture et tous ses muscles sont tendus à l'extrême. Elle ne sait pas vraiment s'en servir, de son arme, mais c'est que ça la rassure un peu d'avoir de quoi se défendre… en cas de besoin. Le type s'avance, les mains en l'air et dégagée, et leur parle, mais elle n'écoute qu'à moitié ce qu'il raconte. Elle n'a aucune confiance en son sourire tranquille, encore moins dans les mots rassurant qu'il déverse. Paiven l'a présenté comme un Archiviste, et la seule chose qu'elle a retenu, c'est que c'est un mage. Et les mage, elle s'en méfie grandement, alors quand c'est un elfe qui vit au beau milieu des bois avec une vieille et une autre elfe, non, définitivement, ça ne lui inspire pas confiance. L'autre les invite à s'installer pour manger avec eux, et Paiven, tendre et naïf, accepte volontiers et se pose près du feu qui crépite. Panoriel reste en retrait, plus méfiante que jamais et observe tout avant de s'avancer, le visage toujours fermé et gardant le silence. Paiven et l'autre ne cessent de parler, écouté par la grabataire, tandis que l'autre elfe la fixe sans se cacher. Elle semble ravie, elle aussi, d'accueillir des nouveaux venus dans leur… clan ? Parce que c'est un clan, ça maintenant ? Et puis soudain, s'en est trop pour Panoriel qui ne peut plus se contenir. « Une semaine d'essai, Venn. On reste une semaine et on avise pour la suite. Mais honnêtement, tout ça pour un feu de bois en forêt et deux vieilles histoires ? J'aurai pu aussi bien te les raconter moi-mêmes, ces histoires ». Elle sait ses mots blessants, mais Panoriel n'accore jamais facilement sa confiance et si elle est ici, c'est parce que son petit frère l'a supplié de le suivre. Paiven, prunelle de ses yeux, son petit frère qu'elle a éduqué, protégé et chéri. Il représentait le monde, son monde. Elle braque ses yeux dans ceux de son frère, avant de se tourner vers l'Archiviste. « Une semaine et on avise », répète-t-elle en sifflant. Et furieuse, elle se lève et quitte le petit campement pour s'enfoncer dans les bois. C'est suffisamment loin, qu'enfin, elle se laisse aller à pleurer. La peur l'a envahi toute entière, c'est qu'elle déteste ne rien contrôler. Elle n'a aucun repère, ici, les bruits, les odeurs, tout est bien trop différent de la ville. Et ça lui paraît impossible, soudain, de rester ici et d'y faire leur vie. Ca ne l'empêche pas d'entendre les pas qui s'approche d'elle et de reconnaître son frère avant qu'il ne l'entoure de ses bras pour la serrer contre lui et la bercer. Ils restent longtemps, ainsi, collés l'un à l'autre. Ils n'ont qu'eux, ils le savent, ils ne peuvent compter que l'un sur l'autre pour avancer dans la vie. « J'te promets rien, Venn. Mais je vais essayer ».



C'est ce quelle préfère, le bruit ambiant, les odeurs et les bruits qui s'entremêlent et chacun de ses sens sont en éveils. Elle reconnaît là avec plaisir l'odeur du pain et sourit en regardant ces gamins qui se courent les uns après les autres en riant. Elle sent les regards qui se posent sur elle, interrogateurs et méfiants. C'est vrai que maintenant, elle ressemble beaucoup à une dalatienne et les tatouages qu'elle porte sur le visage passent aisément pour des vallaslins. Ca l'arrange dans un sens, on la respecte peut-être plus ; en tout cas, on ne vient plus autant lui chercher des ennuis gratuitement et probablement que l'arc qu'elle porte en évidence dans le dos ainsi que la dague qui pend à sa ceinture aident la rendre moins vulnérable. Pourtant, elle ne pourrait pas se servir ni de l'un ni de l'autre efficacement si jamais elle devait défendre sa vie et sa meilleure chance de survie resterait sa vivacité et sa rapidité quand il s'agit de déguerpir. Admaël est patient avec elle, mais le plus gros du gibier qu'ils rapportent, c'est lui qui le tue. Panoriel prend plaisir à se perdre dans les étales de ce petit marché de province. Elle a quitté le clan très tôt et reviendra sans rien dire à personne. Ils ne savent pas qu'elle retourne souvent dans les villes, peut-être Paiven s'en doutent mais il n'a rien dit. Tous ont bien compris qu'elle a besoin de moments de solitudes et pour les autres, elle part se perdre en forêt. Ca lui convient bien de ne pas avoir à se défendre. Elle écoute les ragots, ce qu'on raconte de l'Empire… Panoriel en est persuadé, vivre complètement coupé de ce qu'il se passe autour d'eux ne les aidera jamais, alors elle se tient au courant de la seule façon qu'elle connaît : les cancans. Les rares marchands qu'ils rencontrent ne parlent pas vraiment des choses importantes… Et ce qu'elle entend n'est pas pour la réjouir, trop souvent, l'Enclin revient dans les bouches ici et là, murmuré avec effroi comme le mot d'une malédiction à ne pas prononcer pour ne pas la rendre réelle. Elle rebrousse chemin, étrange hâtive et pressée pour une fois, de retrouver les siens. Elle ne dira probablement rien à personne pour l'instant, mais elle ne manquera pas d'interroger les prochaines caravanes marchandes qu'ils croiseront pour vérifier ce qu'il en est. Mais elle en est sûre : un Enclin, ça veut dire qu'elle partira, hors de question de rester si vulnérable.

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