Je suis née un jour de printemps, un jour d’amour et un jour de bonheur, dans une famille aimante et surtout, une famille riche. Je suis arrivée 5 années après la naissance de mon frère aîné, Ronan. Mon père, William, et ma mère, Rosaleen, ont été d’abord deux amis d’enfance promis l’un à l’autre par un mariage arrangé. Ils furent très bons amis avant de finalement devenir, chose rare me diriez-vous, deux époux s’aimant d’un amour pur et sincère. Mais voila, il fallait honorer ce mariage arrangé de base et finalement, ni l’un ni l’autre ne l’a regretté. Mère est tombée enceinte deux années après le mariage et Ronan est né. En grandissant, il a une éducation de jeune homme, alors qu’à ma naissance, je ne faisais que de jouer avec les cheveux de Mère. Père, quant à lui, était un fier marchant de tissu et avec le temps, il fut recommandé par la Cour. Bon nombre des servants lui achetaient du tissu et il faisait tout pour que la Cour soit satisfaite des produits qu’il leur vendait. Mère quant à elle aimait tricoter ou coudre et c’est elle qui m’a apprit les ficelles de son métier, son métier de tisseuse. Vers mes dix printemps, j’ai appris à tricoter, j’adorais le faire avec ma mère, assise sur un coussin, tricotant derrière la cheminée, alors qu’elle se balançait sur sa chaise et qu’elle chantonnait joyeusement des chansons de son passé.

Le temps passa et elle m’apprit à coudre, j’avais treize ans à l’époque. J’adorais beaucoup faire ça, je préférais être derrière mes bouts de tissus qu’apprendre, lire et écrire, mais finalement, je pris goût à certaines lectures, en même temps, j’avais un bon professeur, un ami de la famille. Il me fit lire des poèmes, de grands livres, des contes, j’écrivais aussi, mais pas seulement cela, je dessinais surtout, j’adorais cela, dessiner. Alors que je n’exerçais que de simples tâches, je lisais, dessinais, tricotais ou faisais des activités calmes et de ce que nous pourrions qualifier d’activités de jeunes filles, mon frère s’est engagé dans l’armée, puis il s’est marié.  Nous avons été proches, à une époque. C’est même lui qui m’avait appris à monter à cheval et à chevaucher, puis une fois devenu soldat, il m’a aussi appris à faire du tir à l’arc, je me souviendrais toujours de ces moments, nous fûmes dans le jardin familiale et il me montrait comment manier un arc et une flèche. Nous nous amusâmes quelques temps, avant qu’il ne parte pour servir l’armée. Il m’avait offert un arc et quelques flèches pour que je puisse m’entraîner. Je puis vous dire que cette nouvelle forme de distraction m’aidait énormément. J’avais seize ans lorsque Ronan m’eut appris cela. Et lorsque j’ai besoin d’une quelconque inspiration pour mes robes, je m’abandonne au tir, appréciant la courbe de l’arc, la concentration, le silence, la cible et le moment où mes doigts lâchent la corde pour se planter dans le sac de paille prévu à cet effet. Je me mettais dès lors à sourire, mettre ma tête de côté puis, je rangeais mes affaires avant de m’atteler à ma passion.

Je me souviens d’un jour funeste qui bouleversa ma vie, ainsi que celle de ma famille. Mon frère était revenu et il fut convenu qu’il se marie avec une bourgeoise, sa famille et la notre étaient en très bons termes. Je me souviens, il pleuvait, l’orage grondait. J’étais à son chevet, observant cette femme tombée malade, cette femme qui fut ma mère. Elle me regardait épuisée, toussant, les médecins ne pouvaient rien n’y faire, je ne savais pas quel mal la rongeait. Elle y a succombé. Mon sourire s’était effacé pendant de longues semaines et alors que mon frère s’en est allé vivre sa nouvelle vie, j’aidais péniblement mon père dans la vente de tissu, montrant bonne figure comme je le pouvais. C’était effroyable. Père était méconnaissable, lui si joyeux, si jovial, était devenu si terne, répondant aux clients avec automatisme. J’essayais d’apporter mon aide avec un semblant de sourire, même si le cœur n’y était pas. Je me suis engouffrée de plus en plus dans cette passion pour la couture que Mère m’avait transmise, j’avais ce besoin de créer des robes ou des costumes pour pouvoir les vendre et aider mon père. Je voulais tellement le revoir sourire. Je voulais tellement l’entendre rire, mais c’était désormais chose impossible. Père a toujours été un bel homme et les femmes voulaient toutes le charmer, mais aucune d’entre elles n’a encore réussi. Et j’en suis assez soulagée je dois dire. Pas qu’il n’ait pas le droit de refaire sa vie, je ne veux que son bonheur, je préfère qu’il soit avec une femme qui l’aime pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a. Hors, Mère est partie il y a peu de temps et Père a besoin de temps pour pouvoir faire son deuil, ce dont je peux comprendre.

Une femme pu rendre le sourire à mon père, une femme a pu lui faire ressentir une fierté sans nom, ainsi que des larmes. Cette femme, c’est moi. J’ai été nommée assistante de la couturière de la Couronne. Comme est-ce possible ? Et bien, cette brave et magnifique dame est venue un jour dans notre boutique afin de choisir elle-même son tissu. Je l’ai accueilli, lui souriant humblement et présentant nos produits. Son regard tomba sur quelques-unes de mes créations. Elle me demanda si c’était moi l’auteure de ces chefs d’œuvres, j’ai acquiescé. Elle remarqua quelques erreurs, mais pas bien grave selon elle, avant de partir. J’ai été très honorée et touchée de sa visite. Quelques jours plus tard, une lettre me fut adressée, écrite par la Couturière elle-même, me demandant si j’étais intéressée de devenir son assistante et apprendre à ses côtés. J’ai lu sa lettre à haute voix, émue, les larmes aux yeux, je les ai levé et vis avec stupeur l’expression de visage de mon père. Il finit par pleurer, pleurer de joie et me prendre dans ses bras, m’incitant à accepter. C’est ainsi que je suis devenue l’une des assistantes de cette dame au caractère étonnant, elle si douée et si extraordinaire, je me plie à ses exigences, apprenant à ses côtés, les ficelles de son métier. C'est d'ailleurs en travaillant auprès d'elle que j'ai appris qu'elle fut l'amie de ma mère, avant qu'elles ne se perdent de vue en raison de l'emploi du temps assez lourd de Madame, triste encore aujourd'hui de la perte de ma mère, son amie. De plus, j'ai cette impression que non seulement, elle me prend sous son aile, mais aussi pour sa propre fille ... elle qui n'a jamais eu d'enfants.

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