Je me souviens encore aujourd'hui des sculptures aux milles couleurs de ma mère. Je me souviens du vent sec dans ses cheveux. De ses joues creusées par la faim. De la faim elle-même, intangible, insatiable. J'ai beau tenter de fermer la porte de ces souvenirs, ils reviennent sans cesse, inlassables rappels de la lâcheté qui entache mon être. Je ne suis pas un héros, je n'en serais jamais un. J'ai pourtant eu l'arrogance de me croire au-dessus des autres, à une époque. Peut-être que coucher sur papier la vie du jeune homme que j'étais me permettra d'exorciser mes démons...

Je suis né dans les contrées d'Anderfels, au coeur de la capitale. Fils de marchands bourgeois, j'ai eu une enfance heureuse, si on oublie la pauvreté qui fait partie intégrante de la vie dans le royaume. Contrairement à la majorité des gens, j'ai toujours eu au moins un repas par jour, compte tenu du talent de ma mère en sculpture et de mon père en négociation. Si nous étions plus riches que nos voisins, ce n'était jamais de beaucoup, et mes parents insistaient toujours pour que nous partagions avec ceux qui en avaient le plus besoin. Durant mes jeunes années, j'ai donc appris l'art de la générosité, art qui m'est resté encore aujourd'hui.

Comme chaque enfant Anders, j'ai grandi avec la crainte et la haine des engeances. Je n'ai pas connu un seul petit garçon ou une seul petite fille qui n'ait rêvé de pourfendre Ombres et autre abominations. Bien sûr, j'avais moi aussi mes rêves de gloire. C'est d'ailleurs ce qui m'avait poussé à rejoindre très tôt les camps d'entraînement de rue. Ceux qui s'en occupaient n'étaient jamais regardants sur l'âge et fournissait les épées en bois. À bien y repenser, je doute que ces camps fussent légaux, mais j'avais dix ans, de l'énergie à revendre et une soif inétanchable de renommée. C'est donc dans les rues poussiéreuses de la basse ville que j'ai fait mes premières armes. Sous l'oeil attentif d'un vieillard qui se vantait d'avoir été le meilleur des gardes des ombres, moi et une dizaine d'autres gamins combattions à coup d'épées en bois usé, parfois à coups de poing. Il n'y avait pas un jour où je rentrais sans un bleu chez moi.

Dix ans plus tard, je m'engageais dans la Garde des Ombres. Habile escrimeur, mais surtout excellent opportuniste, je me fis remarquer des instructeurs lors des entraînements des recrues. J'ai été parmi les premiers envoyés pour tuer des engeances.

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