✥ Date, mois, année ☩5:12 des Exaltés, Eluvestia, 18e jour.
✥ Lieu ☩La chambre réservée à Lyrïe dans les appartements d'Adamus Thyssen
✥ Moment de la journée ☩ Aux premières heures de l'après-midi
Jamais. Même pas pour tout l’or du monde. Ni hier, aujourd’hui ou demain.
Jamais Lyrïe ne se serait permise de critiquer son Maître.
Peu lui importait que certaines de ses actions ou points de vue ne soient pas défendables aux yeux de la Justice des hommes. Peu lui importait que certains de ses ordres impliquent la souffrance ou la mort pour de tierces personnes. Elle se moquait de tout cela car elle ne se donnait pas le moindre droit de le juger. Pas après tout ce qu’il avait fait pour elle.
La seule idée de son existence suffisait à l’irradier de lumière. Elle pouvait tout accepter de lui en remerciement.
Jamais Lyrïe ne se serait permise de critiquer son Maître.
Mais tout de même.
Certaines des tâches qu’il lui confiait parfois la laissaient perplexe.
Comme souvent, elle n’avait pas grande idée du pourquoi et n’avait pas vraiment posé de question. Elle se montrait curieuse lorsqu’il lui dispensait son enseignement, comme il le sied à une élève avide de progresser, mais ne contestait pas les ordres. Et pourtant, elle s’était demandée si pour cette fois elle n’allait pas déroger à la règle.
Apprendre à lire à un garde des Ombres.
On aurait dit une mauvaise plaisanterie. Maître Adamus n’était certes pas dénué d’humour ni de finesse, mais ne versait pas aisément dans l’absurde. Or, c’était complètement absurde. Lyrïe ne put s’ôter cette idée de la tête, quand bien même elle accepta presque sans montrer sa surprise. Elle se demanda simplement si cela avait un lien avec l’homme dépenaillé qu’il avait brièvement reçu en privé dans sa bibliothèque quelques jours plus tôt, pour une raison obscure.
Elle songea également à la missive de Dame Flavus qui lui était parvenue de Tevinter, sans parvenir à faire le lien. On lui avait appris à se fier à ses intuitions, aussi garda-t-elle cet événement à l’esprit.
Mais tout de même.
Pour quelle raison apprendre à lire à un simple garde des Ombres, sans grade ni influence ? Pourquoi lui confier une pareille mission alors qu’ils avaient bien plus urgent à faire, isolés comme ils l’étaient en plein territoire hostile ? Et d’ailleurs, de quelle sorte d’obscur campagnard s’agissait-il pour qu’il ait intégré la garde en étant complètement analphabète ?
Cela la dépassait quelque peu. Mais elle ne mettait pas en doute le jugement de son Maître. Elle le connaissait suffisamment bien pour deviner qu’il avait un intérêt savamment calculé à ce genre de manœuvre en apparence saugrenue.
L’altruisme d’Adamus Thyssen était toujours au meilleur prix.
Elle lui faisait confiance. Elle accomplirait sa tâche sans faillir. Même s'il s'agissait d'éduquer un humain, ce qui impliquait de partager la même pièce, le regarder dans les yeux et de lui adresser la parole sans détour.
Elle avait déjà eu à faire pire. Mais pas souvent.
C’est ainsi que Lyrïe se retrouva à rassembler des abécédaires, des recueils de proverbes et de poèmes illustrés pour les jeunes enfants de la noblesse.
Avec une certaine perplexité.
En réalité, elle était plus que déroutée, bien qu’elle n’en laissât rien paraître.
Enseigner la lecture et l’écriture… Durant treize ans, elle avait absorbé avec avidité la moindre connaissance dispensée par son Maître, comme une assoiffée dans le désert, et avait satisfait ses attentes en se montrant une apprentie curieuse, réactive et intelligente. Mais jamais jusqu’alors elle n’avait songé au travail de son professeur, à ce qu’il avait mis en œuvre pour qu’elle apprenne.
Et voilà qu’elle devait à son tour enseigner à quelqu’un…
Pourvu que tout se passe bien, se dit-il en passant en revue une dernière fois les affaires qu’elle avait préparées et les souvenirs qu’elle avait de ses propres leçons.
Pourvu qu’elle fasse honneur à son Maître.
Et pourvu qu’il y mette du sien.
Elle n’avait plus qu’à l’attendre. Installée dans la pièce mise à disposition par l’Altus parmi les appartements qu’on lui avait alloués dans le Quartier des Hôtes du Palais Impérial, Lyrïe attendait son élève pour sa première leçon.
En espérant qu’il se présenterait.