Jorgen était imposante. De petite taille, naine oblige, elle n'en dégageait pas moins une autorité et une noblesse que personne n'osait jamais contredire. Quand la responsable de l'Union parlait, plus personne ne mouflait mot, c'était comme ça. Ce jour-là, comme à son habitude, Jorgen semblait occupée, et avait visiblement envie d’expédier son discours au plus vite pour se pencher sur des affaires plus importantes - plus urgentes à tout le moins. Elle n'eut aucun mal à obtenir le silence des hommes et des femmes, debout, raides, derrière sa table du gigantesque réfectoire de la Forteresse.

« Bien. Comme vous le savez tous, recrues, une Cérémonie de l’Union se prépare pour ce soir. Certains d’entre vous deviendront Gardes à part entière, les autres mourront en essayant, mais leur sacrifice ne sera pas oublié. » Jorgen marqua un temps d'arrêt, portant son regard acier sur chacune des recrues comme si elle en scrutait les faiblesses, avant de reprendre, calmement. « Allan, Dwyn, Klar, Narassan, Elya, Torri, Pierre, vous pouvez y aller. Reposez-vous un peu cet après-midi, je vous attends ici, ce soir, après le repas. » Ewald regarda, le cœur serré, la totalité de ses compagnons se retirer en silence du réfectoire, gênés de le voir rester planté, seul, devant Jorgen. Le palefrenier respira profondément, avant de prendre la parole, amer. « Vous ne comptez pas me faire devenir Garde, n’est-ce pas ? Pourtant, j’ai… j’ai autant ma place que chacun d’entre eux. J’ai fait mes preuves, Jorgen. » La naine haussa un sourcil, visiblement perplexe, mais amusée, avant de lui répondre, d'un ton tout aussi sec. « Tu es un bon élément, Ewald. Simplement, ta maîtrise de l’épée laisse encore à désirer, et je ne veux pas de Garde qui ne soit pas capable de se défaire d’un groupe d’engeance au corps à corps sans risquer de se faire découper en morceaux. » « Mais je… » « Tu es capable à l’arc, Ewald, mais je veux plus que ça. Tu passeras l’Union. Mais pas ce soir. Tu passeras l’Union quand un Garde sénior pourra se porter garant de tes capacités martiales, et à ce que je sache, ce n’est pas encore le cas ? » Ewald baissa les yeux, agacé. « Non, Jorgen. » « Retourne travailler, dans ce cas. »

Ewald s'inclina légèrement et s'éloigna à grands pas, fulminant. Comment était-ce possible qu'aucun vétéran ne se porte garant de ses capacités ? Il était meilleur archer qu'aucun d'entre eux ! Meilleur cavalier ! Et il était sûr de pouvoir tailler en pièces quelques engeances si toutefois elles arrivaient jusqu'à lui. Il n'était pas SI mauvais ! Le palefrenier poussa avec force les grandes portes de chêne, et dévala les escaliers de pierre blanche qui y menaient. Le soleil de plomb qui s'abattait sur la forteresse des Gardes cette après-midi d'été expliquait peut-être le peu de Gardes présents dans la cour à ce moment-là. Ewald se rua dans l'armurerie, s'empara d'une épée qui traînait sur un établit en vue d'être affûtée, probablement, et ressortit aussitôt. Il se dirigea en face d'un mannequin en bois, et s'arrêta un instant devant lui, le toisant comme s'il s'agissait d'une personne qu'il haïssait. Alors comme ça, il ne savait pas se battre ? Le palefrenier asséna un coup de toutes ses forces sur la tête, qui ne bougea pas. Piqué au vif, Ewald lui asséna une série de coups tous plus violents les uns que les autres, finit par un gros coup de pied en plein dans le tronc et lança son épée par terre. Les Gardes ne voulaient pas de lui ? Qu'ils aillent se faire mettre.

Il allait faire ses affaires. Les Gardes n'étaient pas les seuls à donner leur vie pour défendre les peuples. Il n'en avait pas besoin. Il passa à hauteur d'un groupe de Gardes, visiblement amusés, ou curieux, et leur lança, sa voix tremblant de rage : « Je vous préviens, le premier qui m’emmerde, je l’emplafonne. » Qu'ils essayent, ces maudits guerriers en bleu. Qu'ils essayent !

Spoiler:

Comme il aurait du s'y attendre, un Garde réagit à son intervention par une petite pique blessante. Il s'agissait d'un humain, beaucoup plus âgé que lui, qu'Ewald connaissait de vue et qui était de loin précédé par sa réputation de vicelard de première. Il s'agissait d'un Garde, mais sur le moment, sous la pulsion colérique qui consumait le palefrenier, ce dernier ne douta pas une seconde de pouvoir le faire fermer son clapet en lui faisant bouffer la terre sèche. Il se rua donc sur ce dernier, les poings serrés, prêt à en découdre, mais ne vit que de justesse la lame que lui lança ce dernier. Surpris, Ewald s'arrêta dans son élan et la saisit juste avant qu'elle ne touche le sol. Et c'était déjà trop tard. Les autres Gardes s'étaient écartés, et il se retrouvait face à son adversaire, qui, serein, s'était emparé d'une arme similaire.

Ewald ne réfléchit pas longtemps, et frappa au visage. Un coup maladroit, que le Garde esquiva facilement. Le palefrenier fit aussitôt volte face et assénât une série de coups, tous parés. Un déséquilibre, et il se retrouva à quatre pattes dans la terre. Quelques Gardes rirent au loin tandis qu'il se redressait, tremblant de colère. Il avait déjà vécu cette situation quelques semaines plus tôt à Val Royaux, mais son entraînement intensif aurait du lui permettre de ne plus avoir à faire à un échec aussi cuisant. Ce n'était de toute évidence pas le cas. Un petit sourire s'étalait déjà sur le visage du Garde aux cheveux gris. Ce dernier lui exposa son analyse des techniques d'Ewald, et ce pourquoi il ne parvenait pas à prendre le dessus. La recrue ne comprit pas tout, mais il s'agissait d'amplitude de frappe, d'anticipation et de feintes, enfin, de trucs du genre.

Le Garde se lança alors dans une démonstration pour illustrer ses propos, et le défit en quelques coups, s'emparant finalement de son épée d'un coup de pied qu'il n'avait pas vu venir. Ewald le regarda s'éloigner de quelques pas, sourire satisfait au visage, et serra les dents. Malgré tout, son adversaire ne cherchait pas à l'humilier pour le plaisir, mais à lui faire comprendre ses défauts pour en faire un guerrier correct. Sauf qu'il n'avait absolument rien compris de ses explications. A part, une petite chose, infime. "Bien, je crois que je peux faire mieux", dit il en se redressant, cherchant à calmer sa respiration haletante. Le soleil tapait dur en cet après-midi d'été. Il tendit la main pour récupérer son épée et reprit une distance convenable pour repasser à l'attaque. "Si j'ai bien compris ce que tu m'expliques, le moyen importe peu. Il faut vaincre, c'est tout."

Ewald posa un genou au sol, comme pour prononcer un serment, et s'empara d'une poignée de terre de sa main libre. Il sut, dès cet instant, que son entraîneur avait compris ce qu'il allait faire. Il était vif et malin après tout, ce n'était certes pas Ewald qui allait lui apprendre quoi que ce soit en coup bas. Malgré tout, la recrue se devait d'essayer. Il se redressa rapidement, et attaqua d'un coup piqué en direction de la jambe droite de son adversaire. L'homme para sans difficulté, laissant Ewald revenir à l'assaut pour lui lancer sa poignée de terre au visage. Puis, sans attendre, un coup de haut en bas, pour atteindre le visage. Il para. Ewald profita de sa posture pour tenter de porter un coup de genou au ventre, mais son adversaire pivota au dernier moment, le déséquilibrant et l'envoyant sans difficulté se rouler dans la terre.

Ewald mit un certain temps à se relever. Ses muscles se faisaient sentir, les coups secs que lui avait porté le Garde n'arrangeaient rien, et la chaleur l'étouffait. Le palefrenier s'essuyait le visage de sa manche poussiéreuse, et fit à nouveau face. "Donne moi un arc, Garde, et le problème sera réglé. Personne n'aura besoin de savoir que tu peux encore me mettre la misère avec une épée."