When the first breath of winter through the flowers is icing
And you look to the north and a pale moon is rising
And it seems like all is dying and would leave the world to mourn
In the distance hear the laughter of the last unicorn

Depuis quelque temps, la température était plus douce, mais l’hiver n’avait pas dit son dernier mot. Le ciel était partiellement nuageux et la lune très haute dans le ciel; assise à sa fenêtre de chambre, Dorianna Thelvan observait la nuit. La rumeur d’un nouvel enclin était parvenu jusqu’à Montfort, mais personne ne voulait y croire; chaque fois que le ciel s’assombrissait, quelqu’un proclamait sur la place publique que c’était le signe d’un enclin. Néanmoins, cette fois, cette menace captait l’attention de la jeune noble; ses leçons d’épée avec Maître Heren avaient toujours lieu et si Dorianna continuait à faire des progrès et que les engeances se présentaient aux fortifications de Montfort, elle n’hésiterait pas à défendre sa famille. Bien évidemment, ce qui se passerait réellement en cas d’enclin, nul ne pouvait le prédire et malgré toute la bonne volonté de Dorianna, ses chances de survies seraient bien minces.

Le vent soufflait doucement, un vent froid, mais non glacial et du ciel se mirent à tomber quelques flocons de neige. Un sourire illumina le visage de la jeune noble alors qu’une idée germait dans son esprit. Heren apprenait à Dorianna à être souple, à se battre gracieusement, à la manière d’une danse, mais la seule réelle manière de danser que Dorianna connaissait était celle que toute jeune femme noble se devait de connaitre pour assister à un bal. Aimant chanter, il lui était parfois arrivé de chanter quelques paroles inventées en faisant des mouvements des bras et même en faisant onduler son corps, mais la crainte d’être surprise par Dame Thelvan l’empêchait de se laisser aller à cet exercice.

Le domaine des Thelvan était silencieux; tous devaient dormir profondément, bien emmitouflés dans les couvertures de leurs lits. Les flocons de neige avaient quelque chose de magique et Dorianna avait envie de bouger. Doucement, la jeune noble se leva et se dirigea vers sa penderie. Là, elle choisit une robe vaporeuse qu’elle imaginait bien bouger au vent, puis elle enfila sa cape chaude. Ne prenant pas soin de se coiffer, la jeune femme laissa ses cheveux descendre en cascade sur ses épaules et après s’être regardé dans la glace, elle quitta ses appartements.

Le jardin des Thelvan n’avait rien des beautés des familles nobles plus aisées, mais il avait du charme et surtout, il était suffisamment vaste pour s’éloigner le plus possible de la maison. En traversant les écuries, la jeune femme jeta un rapide coup d’œil vers les cheveux, cherchant le palefrenier, mais celui-ci devait également dormir. Un sourire se dessina sur ses lèvres en pensant à Barthélémy puis elle poursuivit son chemin. Le clair de lune éclairait le jardin à la manière d’une scène et les quelques flocons qui tombaient des nuages brillaient. Au sol, il n’y avait presque plus d’accumulation et les plantes endormies du jardin étaient visibles.

Dorianna cessa de marcher et leva les yeux au ciel en étirant les bras vers celui-ci puis, doucement, elle se mit à tourner sur elle-même. L’air froid emplissait ses poumons et lui donnait l’impression de respirer pour la première fois. L’imagination de la jeune noble se mit en branle; elle était maintenant une danseuse exotique admirée par tous et elle devait danser pour séduire un homme. Fermant les yeux, Dorianna imagina le visage de l’être désiré et elle sentit ses joues s’enflammer lorsque les traits d’un homme connu se dessinèrent dans son esprit. Souriant, elle ouvrit les yeux et se mit à danser, visualisant cet homme, devant elle, complètement sous son charme. Murmurant les paroles d’une chanson que sa mère lui avait un jour chantée, Dorianna se laissait enfin enivrer par la danse…

Dorianna dansait sous les flocons de neige et chantait doucement, perdue dans ses pensées et dans ses rêveries. Elle n’avait pas entendu les pas légers de l’elfe blanche et elle n’aurait jamais remarqué sa présence si cette dernière n’avait pas parlé. Les mots qu’elle prononça, Dorianna ne les comprit pas; le cœur de la jeune noble avait cessé de battre pendant une fraction de seconde, cette dernière effrayée et surprise de ne plus être seule. La première idée qui traversa son esprit fut qu’il s’agissait de Dame Marguerite Thelvan, sa mère, mais la voix était beaucoup trop douce pour être elle. Si la mère de Dorianna avait aperçu son ainée ainsi, dansant sous le ciel pendant la nuit, la colère l’aurait étranglée.

Après un premier instant de surprise, Dorianna regardait la silhouette blanche qui dansait maintenant devant elle, reprenant les mouvements qu’elle faisait, quelques secondes plus tôt, mais avec beaucoup plus d’élégance et de légèreté que l’avait fait la jeune noble. Malgré que l’elfe fût étrangère à Dorianna, elle sentait qu’elle n’avait pas à craindre cette personne et tout doucement, elle se laissa subjuguer par la danse.  

Si l’ainée des enfants Thelvan avait eu une attirance pour les femmes, elle serait tombée amoureuse de cette pâle créature; l’elfe était si jolie, délicate, gracieuse et mystérieuse. La facilité avec laquelle elle était entrée en relation avec Dorianna avait quelque chose d’admirable; le protocole n’existait pas et cela plaisait énormément à la jeune femme. Un sourire avait étiré les traits de Dorianna puis, tout doucement, comme si elle y avait été invitée, elle se mit à suivre les mouvements de l’elfe.

« Es-tu un esprit de la danse? » demanda alors la jeune femme, tout à fait naïvement; Dorianna ne voulait pas manquer de respect à cette créature, mais sa soudaine arrivée avait quelque chose de presque magique. « …Cachée dans les étoiles, mes mouvements disgracieux ont-ils attiré ton attention? » poursuivit Dorianna. Loin des murs de l’humble manoir des Thelvan, Dorianna s’était imaginé danser pour séduire un homme et voilà qu’une véritable danseuse se trouvait devant elle; si l’éducation de Dorianna avait tenté de faire d’elle une parfaite petite noble et que maître Heren la transformait petit à petit en une guerrière, cette jeune elfe allait-elle lui apprendre l’art de bouger son corps pour devenir un être sensuel?

Spoiler:

« Veuillez m'excuser Votre Grâce. Je ne suis qu'une servante, je suis la messagère du Marquis de Pasiphaé. Je n'ai pas été annoncée, car nous avons été retardés sur la route et nous ne sommes arrivés qu'après la tombée de la nuit.»

Dorianna cessa de danser lorsque la jeune elfe prononça ces paroles et fronça les sourcils; quel message pouvait bien envoyer le Marquis de Pasiphaé au domaine des modestes Thelvan? Dame Marguerite Thelvan, la mère de Dorianna, avait-elle proposé au Marquis un mariage avec l’une de ses quatre filles et cette jeune elfe venait lui annoncer une réponse positive? Un frisson parcourut l’échine de la jeune femme; depuis de nombreuses années, sa mère tentait de la marier à un noble riche et puissant puisque la famille Thelvan n’avait rien de ces deux qualificatifs. L’influence des Thelvan au sein de la noblesse orlésienne était si nulle que cette famille était souvent la risée des autres familles. Le Seigneur Renauld Thelvan était trop naïf, trop familier avec les domestiques, tout comme les gens du peuples et les nobles, ses filles, bien que jolies, n’avaient pratiquement aucune dot et le seul fils était trop jeune et trop gamin pour pouvoir redorer le nom de sa famille.

« Je ne suis ni duchesse, ni marquise, ni rien du tout en fait, alors si tu t’adresses à moi, un simple « madame » suffit.  Mais entre toi et moi, je préfèrerais me faire appeler par mon nom; Dorianna. » commença la jeune femme en adressant un sourire bienveillant à la jeune elfe blanche. Cette dernière était une servante qui connaissait les bonnes manières, mais avec l’ainée des enfants Thelvan, les manières pouvaient être oubliées. Dorianna avait hérité du caractère humble de son père et préférait la compagnie des gens du peuple à celles des nobles orlésiens. Le Jeu de ces derniers était d’un ennui mortel, bien que la mère de Dorianna ait tout fait pour initier ses enfants à celui-ci. Les Thelvan n’étaient jamais invités aux grandes réceptions et lorsqu’ils l’étaient, c’était en grande partie parce que Dame Marguerite Thelvan s’était invitée elle-même ou avait insisté légèrement; ainsi, le comportement de Dorianna, bien que fort déplaisant aux yeux de sa mère, n’avait pas réellement d’incidence au sein de la noblesse orlésienne.

« Je n'aurais pas dû venir ici, ce n'est pas ma place. Veuillez m'en excuser, je vais me retirer maintenant si vous le permettez.»

Dorianna tendit un bras vers l’elfe blanche en s’exclamant : « Non! ». Presque aussitôt, elle ajouta : « Je ne le permets pas… ». La jeune femme sourit à l’esprit de la danse et poursuivit : « …je n’ai que rarement l’occasion d’avoir une amie et j’aimerais apprendre à danser comme tu le fais si bien… ». L’ainée Thelvan s’approcha d’un pas vers la messagère, arborant une moue en signe de sollicitation et  pointa la Lune de son index : « La Lune saura garder le secret de cette rencontre… »

« À votre guise mad...Dorianna. Je me nomme Llariarith. Quant à votre danse, elle ne peut ressembler à la mienne, car nos corps diffèrent, vous avez les mouvements saccadés d'une guerrière, cela donne des danses magnifiques.»

Dorianna fronça légèrement les sourcils : « Tu trouves que mes mouvements sont ceux d’une guerrière? ». La jeune femme hésita quelques secondes et poursuivit en rigolant légèrement : « Tu devrais raconter cela à mon maître d’armes! Si aux yeux d’une étrangère, je suis une guerrière, c’est que son travail a des résultats! Malheureusement, je crains de n’être rien de plus qu’une élève et donc, une piètre danseuse si tu considères mes mouvements disgracieux… ». Afin de lui prouver le contraire, Llariarith se mit à danser d’une manière dont jamais Dorianna n’aurait cru possible de le faire; ses mouvements représentaient un combat, mais avec le corps de l’elfe blanche, ce combat était magnifique! C’est avec le souffle coupé que la jeune noble avait observé cette danse guerrière qui se conclut au sol, un genou à terre, la tête relevée fièrement.

« Il y a de la beauté dans le combat tout autant que dans l'amour, les hommes sages le savent. Force et sensualité ne s'opposent pas. »

À l’évocation de l’amour, les joues de Dorianna s’empourprèrent. S’il avait été possible, pour elle, d’acquérir des mouvements de guerrière, il était également possible d’apprendre la sensualité et c’était ce dont Dorianna avait envie; elle voulait donner du rêve à l’homme dont elle était amoureuse, elle voulait qu’il voie en elle une femme et non pas une gamine. À son retour à Montfort, après une trop longue absence, le Baron y retrouverait, non seulement une amoureuse, mais…Dorianna secoua la tête afin de chasser cette pensée de son esprit; son cœur avait bondi dans sa poitrine et elle se sentait rougir de plus belle. Heureusement, la nuit, bien que claire, pouvait dissimuler le trouble qui l’envahissait lorsqu’elle pensait à Yver de Kaflan.

« Force et sensualité ne s’opposent pas, mais posséder les deux doit rendre n’importe quel homme fou d’amour! ». La jeune noble hésita quelques secondes. « …Apprend-moi à danser sensuellement… ». Cette requête était presque suppliante et frôlait la limite de l’imposition. « J’apprends rapidement et je serai l’élève la plus disciplinée que tu n’auras jamais rencontrée! ». Apprendre la souplesse de la danse pouvait également être bénéfique lors des entrainements d’escrime avec maître Heren; Dorianna deviendrait peut-être, aux termes de ces deux enseignements, une duelliste utilisant le charme pour tromper ses adversaires et mieux les soumettre par la suite. À cette pensée, la jeune femme eut un sourire frôlant le rire; tout était possible dans l’imaginaire de Dorianna.

Spoiler:

« Je ne resterais que quelques jours, mes devoirs m'appellent ailleurs. ». À ces premiers mots, la jeune noble allait baisser les bras, légèrement déçu de ne pas apprendre à envouter un homme par le simple mouvement de son cors, mais l'elfe blanche poursuivit: « Mais je peux vous montrer ce que je sais et vous conseiller des entraînements à continuer sans moi.». Dorianna se mit à sourire; cette réponse était plus que ce dont avait imaginé la jeune femme. En apprenant des mouvements qu'elle pourrait reproduire elle-même, sans le soutien d'une maitresse, elle pouvait apprendre à son rythme et en bonne élève qu'elle était, l'ainée Thelvan savait qu'elle travaillerait fort. Si l'elfe blanche devait un jour repasser par Montfort, elle serait probablement surprise des progrès de son élève...

« Cela me convient! » annonça Dorianna alors que Llariarith s'approchait d'elle et posait ses mains fines et pales sur les ses hanches. Cette dernière poursuivit en expliquant à la jeune noble que la sensualité et la séduction, dans la danse, était transmise par le mouvement des hanches. Dorianna sentit ses joues s'enflammer; si Dame Thelvan venait à apprendre que son ainée souhaitait apprendre à faire bouger ses hanches, quel scandale cela serait! « Les...les hanches? » s'exclama la jeune femme, exprimant ainsi le léger malaise que cette idée suscitait. Pour toute réponse, l'elfe blanche se recula de quelques pas et se mit à effectuer des mouvements de son bassin.

Lorsqu'elle termina sa démonstration, Llariarith dit: « A vous. C'est facile, seules les hanches doivent bouger, faites des 8, ne vous souciez pas de l'esthétique pour l'instant, cela viendra avec l'entrainement.» Dorianna baissa les yeux vers ses pieds afin de prendre une position qui imitait celle de la jeune elfe et elle se mit à bouger lentement son bassin, tendant de reproduire au mieux de ses capacités ce qu'elle venait de voir. Aussitôt, Llariarith se déplaça et vint derrière elle afin de guider ses mouvements, en posant à nouveau ses mains sur ses hanches.


Quelques mètres plus loin, un jeune homme n'arrivait pas à trouver le sommeil. Barthélémy, le palefrenier du Seigneur Renaud Thelvan, avait décidé d'aller prendre une petite marche sous le clair de Lune, profitant ainsi de la fraicheur de la nuit lorsqu'il aperçu, au loin, deux silhouettes fines qui ondulaient dans la nuit.


« Après mon départ vous pourrez continuer à vous entrainer sans moi, [...]. Deux ou trois mouvements bien maîtrisés et mélangés peuvent donner un résultat étonnant. » dit la maitresse lorsque l'élève cessa de bouger. Dorianna se tourna vers l'elfe blanche pour la regarder droit dans les yeux. « Combien d'hommes as-tu séduit ainsi? » questionna la jeune femme sur un ton espiègle avant d'éclater d'un rire léger. « Je m'égare...Apprend-moi ces autres mouvements et je les pratiquerai tous les jours jusqu'à son retour! ». Dorianna se mit à rougir, elle venait de dévoiler officiellement le motif qui animait son désir d'apprendre à danser comme le faisait Llariarith. Bien évidemment, cette dernière devait l'avoir deviné depuis bien longtemps.