« Ne fait jamais confiance à un shem, Sonja, ils se nourrissent de souffrance. »
La jeune elfe frissonna de peur, regardant sa mère avec de grands yeux ronds. Celle-ci acquiesça, satisfaite de la réaction de Sonja. Au sein du clan Zupan, la crainte et le mépris des shemlens inculqués aux plus jeunes étaient tout aussi importants que les traditions des elfes et l'histoire de leur grandeur passée.
Bien que fascinée par les légendes elfiques que leur contait l'Archiviste, la jeune Sonja était également prompte à questionner sur les coutumes humaines, la peur qu'elle éprouvait à leur égard ne les rendant que plus intrigants. Sa curiosité déplacée lui avait attirée la colère de ses parents et la désapprobation du chef de clan. Elle évoqua une seule fois l'éventualité d'aller rencontrer des humains, et fut menacée d'être envoyée en ville pour devenir une
oreille aplatie. Effrayée, elle décida dès lors de garder ses intérêts douteux pour elle-même et de se comporter en dalatienne modèle.
C'est ainsi qu'elle se dirigea vers la voie des chasseurs, plus palpitante qu'une éventuelle vie de soigneuse de hahls. Après avoir prouvé sa valeur en ramenant au clan une fourrure de loup tué dans les règles de l'art, Sonja reçut avec fierté ses
vallaslins. Elle choisit d'honorer Ghilan'nain, l'élue d'Andruil née parmi le peuple et patronne des voyageurs. Car la dalatienne avait compris que le monde était plus grand que ce que ne voulait lui révéler l'Archiviste.
Si les chasseurs elfes avaient pour habitude de s'éloigner du campement en groupe, Sonja s'était révélée assez habile pour que les siens la laissent partir chasser seule sans s'inquiéter. Ces excursions étaient de parfaites occasions pour s'aventurer au-delà des limites que se donnaient les dalatiens, toujours un peu plus près de la civilisation humaine, en prenant parfois des risques inconsidérés. Il lui arrivait de se poster des heures durant à observer le quotidien d'un village ou à prendre en filature des voyageurs. Sa première impression avait été la déception : les humains n'avaient rien à voir avec les êtres à moitié démoniaques décrits par ses parents. Ce qui les rendait moins intéressants, en un sens, mais qui octroyait à Sonja une toute nouvelle manière de voir le monde.
Elle aurait pu continuer bien des années ses aventures solitaires, mais il n'en fut rien. A l'aube de ses 24 ans, Sonja et deux autres chasseurs avaient décidé de suivre une proie particulièrement agile. La traque s'était prolongée jusqu'au soir, tous étant déterminés à ne pas rentrer au camp les mains vides. Peut-être auraient-ils dû étouffer leur fierté, car un groupe d'hommes se trouvaient sur la piste qu'ils suivaient, à l'orée d'un bois. Sans se poser de questions, les deux chasseurs qui accompagnaient Sonja encochèrent une flèche et visèrent les plus proches. Celle-ci s'interposa à temps.
« Attendez ! Laissez-moi leur parler. »
L'espoir d'une issue diplomatique se désagrégea instantanément lorsque les hommes dégainèrent leur épée. L'intervention de Sonja leur permit de se mettre à l'abri des flèches dalatiennes qui se perdirent entre les arbres. L'issue du combat aurait pu être fatale pour les elfes si de mystérieux inconnus n'étaient pas apparus pour les défendre. Des Gardes des Ombres.
Ce jour-là, Sonja ne rentra pas au camp.
Cela fait désormais 5 ans que Sonja a passé l'Union avec succès. Si elle rêve parfois de paisibles hahls attelés à des aravels aux voiles colorées, elle ne regrette pas son choix. D'autant qu'avec le réveil d'un archidémon, les cauchemars ont envahi ses nuits et le danger à venir est plus préoccupant que la nostalgie. Car malgré l'impression de liberté qu'elle a ressenti lors de son enrôlement, elle commence à réaliser ce que signifie réellement être une Garde des ombres.