« Bruméis monte dans le chariot, on est prêt à partir. »
« Mais je trouve pas le chat ! On ne peut pas partir sans avoir le chat ! »
« Il dort au milieu des fourrures, il ne perd pas de temps lui. Allez grimpe ! »

L’hiver venait de se terminer et le climat se réchauffant était un signal pour repartir de nouveau sur les routes. Cela faisait plus d’une semaine déjà que le père de Brume étudiait et réétudiait l’itinéraire, comptait et recomptait les stocks de marchandise. Après tout, ces longs mois d’itinérances leur servait à amasser assez d’argent et de vivre pour passer l’hiver dans leur petite maison et préparer le prochain voyage.

Du haut de ses quelques dizaines de centimètre, Bruméis trottina jusqu’à son père qui la porta pour l’installer confortablement. L’homme alla ensuite s’asseoir à l’avant et mis les chevaux en marche. De sa place, l’enfant pouvait voir sa maison s’éloigner petit à petit. Elle avait toujours aimé voyager avec son père même si aussi loin qu’elle puisse se souvenir il n’en avait jamais été autrement. La mère de l’enfant était morte en couche et son père ne pouvait se permettre de louper ne serait-ce qu’une saison et il ne pouvait encore moins se résoudre à abandonner sa fille. Même si les premiers mois avaient été compliqués, cela faisait maintenant près de cinq ans que tout se passait pour le mieux. Brume était une enfant facile à vivre aussi longtemps qu’elle était de bonne humeur. Le père se félicitait d’ailleurs que la bonne humeur de sa fille ne se résume qu’à peu de chose : un ventre plein, une couverture chaude et sa poupée. De plus il ne pouvait pas nier qu’une enfant jouant autour de son étalage attirait forcément l’attention. Combien de dames avaient été charmées par ces espiègleries et avaient fini par craquer pour une babiole mise en vente ? Il n’y avait pas à redire, c’était une belle vie qu’ils avaient !


Le chariot cahotait sur la route de terre et Brume se laissait bercer par l’envoutant mouvement. Voilà bien des heures qu’elle avait abandonné la révision du livre de compte. C’était encore plus assommant que le voyage… Soudain son père l’interpella, Val Royeaux était en vue ! Se sentant tout à coup totalement éveillée, elle se fraya un passage jusqu’au côté de son père. Depuis les années qu’ils parcouraient ensemble les routes, l’arrivée dans la capitale d’Orlaïs avait toujours eu quelque chose de différent pour Brume. De plus, maintenant qu’elle était une toute jeune fille la grande ville avait tout ce qu’il fallait pour la ravir ! Partout où elle posait son regard c’était pour découvrir quelque chose qui l’émerveillait. Les chevaliers en armures brillantes, les édifices, les beaux jeunes gens… La jeune fille se serait damnée pour vivre dans un tel endroit. Pourtant, à chaque fois qu’ils quittaient la grande ville pour repartir sur la route, Brume ne ressentait aucun regret. Peut-être que finalement elle se serait lassée de cette ville de merveille ?


Un nouvel été touchait bientôt à son terme et il était l’heure pour le père et la fille de regagner leur modeste demeure. L’année avait été bonne et un hiver serein se profilait. A l’aube de ses quinze ans, Brume se révélait jour après jour. D’une beauté indéniable elle avait aussi un caractère bien trempée. Le portrait de sa mère comme le songeait parfois son père. Peu farouche, elle n’hésitait plus à prendre part dans les négociations que menait son père et s’en sortait parfois bien mieux que lui. L’homme aimait à croire que ce talent lui permettrait de la marier à un marchand bien plus prospère. Déjà que nombre de jeunes hommes lui tournaient autour… Le seul souci était que l’adolescente ne répondait à personne d’autre qu’elle-même, ce qui allait certainement être un obstacle le jour où le père annoncerait à son enfant qu’il lui avait trouvé un mari. Mais il avait bien encore quelques années devant lui, il s’en préoccuperait plus tard.

Le soleil se couchait à l’horizon, il était plus que temps d’établir le campement pour la nuit. Se détournant du chemin pour trouver un endroit confortable, le duo s’établit bientôt dans une petite clairière. Autour du feu, le père et la fille discutaient. C’était à la fois étrange et touchant de voir à quel point l’un tenait à l’autre. Brume le savait, son père aurait tout fait pour elle. Alors qu’ils s’étaient endormis et que le feu n’était plus que braises rougeoyantes, un bruit suspect tira Brume de son sommeil. Elle espérait de tout cœur que ce ne serait pas une bête sauvage mais lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle fut encore plus effrayée. Un groupe d’homme avait investi leur campement. Tandis que l’un d’entre eux fouillait le chariot, deux autres tenaient le père de Brume. Un dernier vint attraper la jeune fille, tout dans son attitude laissait deviner qu’il était le chef de la petite bande.

« Il semblerait que tout le monde soit réveillé. Bien, on va pouvoir commencer à se marrer un peu. Le marché est simple : soit on prend la marchandise et la fille, soit tu résistes et on t’égorge. Alors ?»
« Vous pouvez toujours rêver. Jamais je ne vous laisserais prendre ma fille ! »
« Oh il semblerait que nous avons un joueur ce soir. Et j’ai envie de m’amuser. Flynn passe lui ton épée, on va voir s’il sait se battre. »
« Non père ! Ne faites pas ça ! S’il vous plait prenez la marchandise mais ne faites pas de mal à mon père ! »

Personne ne semblait entendre la jeune fille. Le chef de la bande la lâcha alors qu’il dégainait son épée et Brume compris dans le regard de son père qu’il lui disait de profiter de la situation pour fuir. Mais elle ne pouvait se résoudre à le laisser. Elle était là, impuissante, paralysée. Un des gars jeta une buche dans le brasier pour éclairer un peu plus la scène. Ils étaient tous en train de rire, si elle n’avait pas aussi peur l’adolescente en aurait certainement vomi de dégout. Puis tout se passa très vite. Il y eu des tintements d’épées, quelque râles et puis le bruit de la chair qu’on transperce. La brunette n’en croyait pas ses yeux et bientôt sa vision fut troublée par les larmes. Elle n’avait même pas la force de hurler son désespoir.

« C’était plus rapide que prévu. Dommage. Bon allez on dégage. »

Passant à côté de la belle, le brigand l’attrapa sans ménagement par le bras et la souleva.

« Toi tu viens avec nous. C’est quoi ton nom ? » Voyant qu’elle ne répondait pas, il la secoua un peu. « Ton nom. »
« Brum... Bruméis »
« Ca sera Brume. »

Il avait fallu de longues semaines pour que Brume atteigne enfin le fief des brigands. C’est sans grande surprise qu’elle apprit qu’elle se trouvait en Rivain, le berceau des pirates. Son père et elle n’avaient jamais mis les pieds dans le coin, le paternel estimant que la population locale n’était pas assez fiable pour exercer un commerce sain. Le premier arrêt pour le groupe fut la ville d’Ayesleigh. La jolie brune savait pertinemment qu’une fois le voyage terminé son pseudo répit toucherait aussi à son terme. Durant le voyage les gars lui avaient d’ailleurs trouvé un surnom : le chat sauvage. Bizarrement la jeune fille en était plutôt satisfaite et après tout elle l’avait bien cherché à force de griffer et frapper quiconque osait s’approcher d’un peu trop près. Oui, elle aimait définitivement ce nom et elle préférait qu’on l’appelle ainsi plutôt que ces types osent l’appeler comme son père… L’arrivée à Ayesleigh fut aussi source d’une bonne surprise pour Brume. C’est ici qu’elle rencontra celui qui allait devenir son pilier dans cette triste aventure : c’était Tibalt, le jeune frère du chef des brigands.  


Pendant plusieurs semaines, Brume se retrouva à travailler dans la taverne qui semblait appartenir au gang. Ce n’était pas si terrible que ça et contre toute attente elle s’attachait à ces bandits qui semblaient tous être influencé par le cerveau du groupe : Tomer. Peut-être ressentaient-ils la même peur qu’elle à son égard ? C’était certain, à mesure que son amitié grandissait pour les autres et Tomer en particulier, sa haine pour son aîné n’en devenait que plus féroce. Bientôt on leur annonça que les affaires les appelaient à Llomeryn. A peine furent-ils arrivés sur l’île que Tomer convoqua sa jeune recrue.

« Alors gamine, tu vois que c’est pas si terrible finalement. »
« … »
« T’es pas très loquace hein. C’est pas grave, c’est pas comme si ton avis m’importait. Vois-tu Brume on a un problème : les caisses sont vides et tu ne me rapportes pas assez. Du coup j’ai pensé que ton joli minois serait d’une grande utilité. »
« Va te faire foutre. »
« Mais c’est qu’elle parle maintenant ! Je t’ai déjà dit, ton avis ne m’intéresse pas. »
« Tu peux toujours rêver pour que je fasse ça. »
« C’est ce qu’on va voir »

Avant même qu’elle ait eu le temps de réagir, l’énorme main de Tomer s’abatis sur son visage. La douleur paralysa la jeune fille tandis qu’elle sentait des perles de sang chaud gouter sur sa lèvre. Ayant trop de fierté pour pleurer devant son bourreau, Brume rassembla ses forces pour cracher à ses pieds et sortir la tête haute de la pièce. C’est une fois qu’elle fut seule qu’elle fondit en larme. Inconsciemment elle se rendit dans la chambre de Tibalt. Elle lui raconta tout, comment son frère voulait l’utiliser, qu’il la frappait sans vergogne et par-dessus tout qu’elle avait terriblement peur. Le jeune homme passa une bonne partie de la nuit à la réconforter, lui disant qu’il allait faire son possible pour faire changer Tomer d’avis. Ce soir et pour la première fois depuis longtemps Brume ressentit de l’amour.



Malgré tous les efforts de Tibalt, Tomer ne modifia pas sa position et ce soir avait lieu ce qu’il s’amusait à appeler « le grand saut ». Il n’y avait pas à dire, Brume était terrorisée. Jamais elle n’avait fait ce genre de chose et elle ne voulait pas que cela change, pas aussi tôt ! L’adolescente avait passé la journée à se morfondre dans sa chambre en essayant de trouver une solution. Elle ne pouvait pas s’enfuir, elle était bloquée sur cette île… L’heure fatidique approchait et Brume dû finalement se résoudre à enfiler la robe que Tomer lui avait fait apporter. C’était honteux de devoir porter de si jolies choses pour une si basse besogne. Finalement, son bourreau vint la chercher. La nuit était tombée depuis un moment et la jeune fille entendait les rires et les fracas des chopes dans la salle du bas. Elle se concentrait sur sa respiration, pour ne pas trembler, ne pas défaillir. Tomer ouvrit alors une porte et la poussa sans ménagement à l’intérieur. Dès que les yeux de la belle se posèrent sur l’individu qui l’attendait, elle sentit son estomac se nouer. Il se leva de sa chaise et s’approcha d’elle. Tout dans son être la dégoutait. Bizarrement le dernier recourt que trouva la demoiselle fut d’implorer le Créateur mais un événement encore plus étrange se produisit. Quand Brume rencontra le regard de l’homme, celui-ci tomba immédiatement sur le sol. C’est seulement lorsqu’elle entendit son ronflement qu’elle se rendit compte qu’il n’avait pas eu d’attaque. La belle courut jusqu’à la table où était posée la bourse de pièces d’or et s’enfuit sans demander son reste. Il s’avéra que l’événement se reproduisit à chaque fois et Brume dû alors se rendre à l’évidence : elle était mage.


Le temps avait passé et Brume était maintenant une belle jeune femme de dix-sept ans. Depuis quelque temps, sa relation avec Tibalt avait pris une tournure plus intime et la brune s’en voulait de lui mentir quant à ce qu’il se passait le soir avec ces marins. Aucun autre homme ne l’avait touché, mais lui avouer serait prendre le risque de lui révéler sa condition. Malgré tout l’amour qu’elle avait pour lui, elle ne pouvait se mettre ainsi en danger.

Cependant ce soir-là allait être différent de tous les autres. Comme d’habitude, Brume se rendit dans la chambre qu’on lui avait dite. Il lui suffirait de faire comme toujours, de lire un livre pour passer le temps et de partir avec l’argent. Mais lorsqu’elle essayait d’exercer son pouvoir rien ne se produisit. L’inconnu sembla remarqua son désarroi et la questionna.

« Vous étiez censé vous endormir… Je… »
« Tu avais mis quelque chose dans ma nourriture ? »
« Non… Non… Mais quand je regarde, que je le veux vraiment, les gens s’endorment »

S’en suivie alors une longue discussion qui dura bien jusqu’au levé du soleil. L’homme était un mage du Cercle de Tévinter. Il lui expliqua comment les gens comme eux étaient vu là-bas et que si elle le voulait, il pouvait l’y conduire. C’était un nouvel avenir qui lui offrait, une nouvelle famille. Brume n’eut pas besoin d’y réfléchir à deux fois. Elle courut dans sa chambre rassembler ses affaires et écrivit une lettre d’adieu à Tibalt. Même si elle l’aimait, son envie de s’enfuir était bien plus forte.  


La nouvelle vie qui s’offrait à Brume était incroyable. Du jour au lendemain elle se retrouvait aimée et respectée pour ce don qu’elle avait. Chaque jour lui offrait de nouvelles possibilités d’apprentissage. Un coup elle découvrait de nouveaux pouvoirs, un autre elle apprenait à préparer une potion et le reste du temps, elle le passait à lire. En somme elle avait tout pour être heureuse. Nourrie, logée, blanchit… De plus elle se rendait compte que l’étude de la magie était réellement passionnante. Tout ce pouvoir qu’elle avait en elle… Elle en voulait toujours plus.

Les huit années que Brume passa dans le Cercle lui semblèrent à la fois étonnement courte et follement longues. Même si elle était heureuse, au fond quelque chose lui manquait. C’était les voyages, parcourir le monde et découvrir ses merveilles. Un matin elle prit alors son courage à deux mains et alla voir son supérieur. Cela faisait quelque temps maintenant qu’elle était mage confirmée, elle n’avait plus peur qu’on ne la prenne pas au sérieux. Brume lui exprima alors son envie de partir, de voyager un peu. Se confronter a des cultures qu'elle n'avait pas côtoyé depuis un moment serait certainement bénéfique pour son pouvoir.

A peine fût-elle partie que Brume se rendit compte d’une chose, sa liberté était au final ce qui comptait le plus pour elle. Mais qui sera le plus fort entre la liberté et l’envie de puissance ?

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