« AU FEU ! AU FEU ! »
Garran, jeune garçon de douze ans à peine, se redressa soudainement dans le lit qu'il partageait avec ses deux frères plus jeunes que lui. Il n'avait pas toujours été l’aîné de la famille. Il avait eu un frère plus âgé, mais celui-ci était mort, et c'était lui qui représentait désormais l'avenir de la famille. Son père se montrait beaucoup plus exigeant avec lui qu'avec les autres membres de sa fratrie à la fois dans son éducation intellectuel et son entraînement physique.
Ses frères commencèrent seulement à s'agiter alors que le jeune garçon bondit hors du lit et qu'il enfila rapidement un pantalon, en proie à une forte panique. Garran n'était qu'un enfant, mais la situation de son nom et de sa noblesse ne lui était guère inconnue. Auparavant ils possédaient une fortune considérable, mais ils avaient plongé petit à petit dans la misère. S'il perdait leur demeure, ils n'auraient plus rien. Sa mère, couverte d'une robe de chambre d’aspect plutôt misérable, ainsi que son père, venaient d'accourir dans la pièce sombre et froide où dormaient leurs enfants. Le jeune garçon pouvait sentir la panique dans le regard de sa mère et le désespoir dans celui, habituellement dur, de la figure paternelle. Ce dernier avait toujours pensé que Garran ramènerait l'honneur sur leur famille en devenant un chevalier émérite, respectant les règles de l'honneur et du devoir, mais si les Myatt ne possédaient plus de demeure pour assurer leur titre de noblesse ils resteraient à jamais que de simples roturiers.
« Surtout ne bougeons pas. Seules les écuries sont touchées. Nos chevaux sont perdus, nous ne pouvons plus rien pour eux. »
Garran ne pouvait pas laisser faire ça. Ces chevaux étaient leur dernier bien. Il se précipita vers l'extérieur malgré les hurlements de celle qui lui avait donné la vie et les rappels à l'ordre d'un homme qu'il admirait et détestait à la fois. De toute son existence il n'avait jamais couru aussi vite, et arriva devant le lieu, en flamme. Quelques hennissements parvinrent à son oreille, et il espérait de toutes ses forces qu'il n'était pas trop tard... La porte n'était déjà plus qu'un souvenir et il entra alors, ouvrant le plus de box qui se trouvaient à sa portée. Beaucoup étaient déjà perdus, mais six réussirent à s'enfuir.
Un cheval passa près de lui, trop près de lui, tant et si bien que le garçon chuta dans un monceau de braise fumante. La douleur soudain vint prendre la moitié de son visage ainsi que les mains qu'il avait eu le réflexe de placer pour se protéger, celle-ci était tellement intense qu'il crut perdre connaissance. Un hurlement franchit la barrière que formaient ses lèvres, et tant bien que mal il sortit des écuries avant de s'effondrer, tout en pensant qu'au moins, il avait réussi à sauver les chevaux mieux qu'à protéger sa propre vie....


« Pitié ! Ne me tuez pas ! »
Son épée Sanglante était pointée sur la gorge de l'homme qu'il devait éliminer. C'était le contrat, et lui et sa troupe avaient déjà reçu une partie de l'argent, sans compter qu'ils prendraient le droit de piller l'échoppe du marchand, et ils ne se gêneraient pas pour le faire. Un contrat était un contrat, et malgré ce que l'on pouvait penser d'une bande de mercenaires, Garan avait un sens de l'honneur très aigu. Malgré ses plaies aux mains et au visage, son père lui avait enseigné l'art du combat, et jamais il n'acceptait de contrats visant à tuer des femmes ou des enfants. D'une certaine manière il était chevalier, un drôle de chevalier mais un chevalier tout de même.
Le jeune homme passa une main sur la face de son visage non brûlée, l'autre ne lui causait certes plus de douleurs depuis un certain temps déjà, mais il tentait tant bien que mal de l'oublier. Il ne supportait pas de toucher ses chairs meurtries par les flammes, et il avait développé une certaine phobie de tout ce qui pouvait tenir trait à la chaleur.
Il esquissa une sorte de rictus, censé être un sourire, et d'un geste rapide il trancha la gorge de l'homme sans aucune autre forme de procès. Celui-ci n'avait pas été d'un grand plaisir à tuer, il n'avait même pas tenté de se défendre.
À 20 ans, cela devait faire 4 ans qu'il avait quitté sa demeure, et au sein de sa bande de hors-la-loi, il c'était vite imposé comme le meneur. Il avait le physique de l'emploi avec ses plaies, ses diverses cicatrices et sa haute taille. En effet, il mesurait près de deux mètres de hauteur et possédait la carrure d'un homme de cette stature. Et puis il était le seul à savoir lire, très difficilement certes, mais il savait. Garran essuya le sang qui maculait son épée sur son pantalon avant de la ranger dans son fourreau. Il se tourna vers ses hommes
« Messieurs, nous avons honoré notre part du marché. Enfin presque...» Il les regarda avant de se diriger vers l'échoppe et de défoncer la porte d'un coup de pied.


Il avait passé dix-neuf années de sa vie sur les routes de Thédas. Dix-neuf années sans rencontrer de problèmes notoires, tuant et pillant impunément comme sa nature de mercenaire lui disait de le faire. Mais il avait trouvé le moyen de se faire arrêter par les forces armées de Ghislain et autant dire que lui et ses hommes ne purent résister bien longtemps. Si la majorité furent tués alors qu’ils résistaient avec l’énergie du désespoir, Garran lui fut capturé et emprisonné pour répondre de ses crimes. Autant dire que la situation ne l’enchanta guère. Imaginant le pire, lui qui n’avait jamais mis les pieds dans une Chantrie, recommanda son âme au Créateur. Le mercenaire n’avait aucun espoir sur le sort qui lui était réservé pour arriver à une telle extrémité de bigoterie.
Lorsque l'on ouvrit la porte de sa cellule, il était persuadé que c’était les derniers instants qu’il passait sur cette terre avant qu’on ne lui passe la corde au cou, mais ce fut avant de remarquer que celui qui se tenait devant lui portait le griffon sur son armure. Un garde des ombres. S'il ne comprit pas immédiatement ce que venait faire un membre de cette illustre guilde ici, il fut rapidement mit au parfum. Ses talents seraient certainement plus utile vivant que mort, alors il avait utilisé le droit de conscription pour le sortir de sa cellule et l'emmener dans la vaste forteresse de Churneau, siège de la garde.

C'est là-bas qu'il se tenait aujourd'hui, tenant entre ses mains la coupe contenant le sang d'engeance qu'il allait devoir boire pour devenir un membre à part entière de la Garde. Deux de ses comparses étaient passé avant lui. Les deux s'étaient effondrés, secoués de spasmes. Leurs organismes n'avaient pu supporter la corruption des engeances et ils étaient mort dans des souffrances atroces. Désormais c'était son tour. Autant dire que l'ancien mercenaire ne se sentit pas rassuré, mais il ne pouvait reculer. Plus maintenant. Alors il trempa ses lèvres dans le breuvage couleur vermeille, fermant les yeux. Mais tout ce qu'il avait imaginé ne le préparait pas à une telle douleur : il se sentit brûler de l'intérieur, le feu se répandant dans son crâne et dans le moindre de ses membres. Il ne voulait qu'une chose. Que cela cesse. Il allait probablement mourir ici et il se demandait si il ne valait mieux pas être pendu. Puis il n'y eu plus rien autour de lui hormis le néant absolu, de furtives visions parfois... Garran avait sombré dans l'inconscience. Il ne s'éveilla que deux jours plus tard, bel et bien vivant mais changé. Il était un Garde des Ombres désormais redorant le nom qu'il avait lui même souillé par ses exactions.



Cela fait quinze ans maintenant qu’il est dans la garde. Et il parvint enfin à comprendre le sens de leur mission lorsque les rêves d’engeances et de ténèbres se firent de plus en plus forts. Faisant parti des plus anciens, il s’occupe principalement des jeunes recrues, les préparant à une cérémonie de l’Union qu'il connaît très bien désormais. Ce n'est pas le plus aimable des compagnons, ni le plus futé, mais il reste efficace dans ses fonctions.
Son instinct ne le trompe pas, ni le nombre d'engeances qui grouillent dans les Tréfonds. Pour Garran un nouvel Enclin se prépare et il faut se tenir prêt.

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