Je suis né, j'ai vécu, et je mourrai certainement en arpentant les étendues sauvages d'Elvhenan.  J'ai grandi dans un clan majeur, les Dalvan Falon, composé de près de trente chasseurs, et d'une centaine de membres au moins. Nous vivions au nord, dans une vaste forêt jouxtant les terres des Shemlen, et notre Archiviste était vieille, craintive et prête à toutes les compromissions pour préserver notre peuple. Elle accepta de céder des zones de forêt, de laisser des trappeurs pénétrer notre territoire, de voir certains de nos mages excédentaires devenir prisonniers des Cercles... Je ne me sentais pas prêt à passer ma vie en tant qu'anonyme dans un clan de ventres mous.
Dans quel but? Finir par vivre dans des bauges, esclaves serviles rampant devant le fouet de nos maîtres? Vivre en cage, tenus en laisse par des fanatiques d'une religion sans dieu, parce qu'on a été béni de la magie? Ou, pire que tout, être coincé chaque minute du jour et de la nuit dans un décor puant, minéral et rectiligne, parasité mais pas vivant? N'être qu'un ver de plus, grouillant dans les furoncles provoqués à notre terre-mère par nos propres actes?

Pour moi, la vie d'un Dalatien est incomparable. Je vis dans les ramures des arbres millénaires, mon pas accompagne le bruissement des feuilles au lieu de le brusquer. Je ressens la vie autour de moi avec force; j'en connais la valeur, et si je tue, ce n'est que pour manger, au prix d'efforts de ma part et de ruse. Je suis une partie de ce monde, et je ne m'en prétends pas le maître. Je ressens le vent courir sur ma peau lorsque je lance mon cheval dans les clairières et les sous-bois. J'entends mille chansons dans un silence, et cent histoires à chaque tronc d'arbre. Le froid, la pluie, le soleil.... accompagnent ma vie, en font partie, et jamais ils ne sont une entrave.
Vivre une vie uniforme et monotone est pour moi une perspective pire que la mort; et c'est celle que les shemlen tiennent absolument à nous imposer.

L'arrivée d'Harand m'a sauvé de ce destin; j'ai vu avec ce jeune homme pétri de sagesse ancienne et de colère neuve l'Archiviste que j'attendais. Personne ne comprend qu'un bon chasseur, respecté et apprécié, ait pu vouloir quitter les siens.  
Je ne me suis jamais expliqué, ni auprès d'Harand, ni de personne, sur les raison de mon départ de chez moi, ou de mon adoption chez les Varalasan. Mais être utile, vital au clan, et vivre dans le  respect de mon histoire et de ma terre est une source quotidienne de joie.

Là, j'ai trouvé des gens de tous horizons, qui ont un projet commun. Harand est un authentique Dalatien, et il mène aux sources de notre sagesse des âmes égarées: Elorill, une ancienne esclave tévintide, bénie de Ghilan'Nain, deux elfes du bas-cloître en quête de sens. Paiven est mon ami, même s'il n'arrive pas à écouter le silence. Panoriel... elle lutte avec férocité contre l'esprit du clan. Mais cette férocité même est celle de l'esprit du clan. Un jour, peut-être, m'accompagnera-t-elle en forêt, non pas pour chasser, ni pour faire l'amour, mais pour profiter du chant du vent dans les ramures et des bruissements de la nature.

Enfin, il y a Aerin. Elle a l'air curieuse, mais je ne peux m'empêcher de voir l'ombre de  Dirthaman, et de ses serviteurs Peur et Duperie lorsque je la regarde. Elle me semble trop intéressée par les secrets mystiques, et pas assez pas les traditions mythologiques.

Je n'aime pas tuer; mais qu'un shem approche mon clan, animé de mauvaises intentions, ou animé d'intentions incertaines, ou présentant un danger potentiel, je lui ferai rendre une part de ce qu'il a dérobé à la terre mère, en transformant sa carcasse en humus. Et pour cela, croyez moi, je suis doué.

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