Ma douce Hird,

Aujourd’hui est, si mes calculs sont exacts, le troisième anniversaire de mon exil dans les Tréfonds. Je ne sais plus combien de pierres portent les mots que je t’ai adressés, ni combien d’engeances j’ai tuées pour user de leur sang à cet effet. J’ai passé ces trois dernières années à t’adresser des souvenirs qui ne te parviendront jamais, mais je ne peux me résoudre à cesser.

Il y a trois ans, avant ce jour terrible, nous étions encore fous amoureux, inconscients de ce qui se tramait. Nous nous fréquentions dans le plus grand secret, toi la noble dont la famille compte trois Hauts, moi le guerrier, simple protecteur d’Orzammar. J’ai aujourd’hui passé autant de temps dans ces cavernes obscures que dans tes bras, pourtant, plus les jours défilent et plus ton souvenir s’affirme dans ma mémoire.
Les engeances se montrent de plus en plus pressantes ici, dans les ténèbres. Chaque jour, mes haches fendent casques et boucliers, font couler ce sang noir dont j’use pour t’écrire. Si ce n’est pas un Enclin, que les Hauts nous protègent, car cela y ressemble terriblement. Je survis coûte que coûte avec l’espoir de revenir un jour dans notre cité. Je ne t’y retrouverai pas ; je sais désormais qu’il n’y a plus d’avenir pour nous ailleurs que dans mes rêves. J’ai vu ton regard, lorsque tu m’as trouvé, le sang de ton père sur les mains. Ils m’ont emmené avant de me laisser t’expliquer, mais qu’importe ? Tu les as crus, et cela a tout brisé. Non, mon unique espoir est désormais plus sombre : celui d’une vengeance contre l’homme qui nous a détruits. Peut-être l’as-tu épousé, au final ? Peut-être as-tu compris son infamie ? Je l’ignore. Je ne suis pas certain de vouloir le savoir.
Ordahn nous a tous trahis. Toi et moi, en nous dénonçant auprès de ta famille, et ton père, qu’il a assassiné sans vergogne. Il cherchait à me discréditer. Si je n’en ai pas la preuve, j’en ai la conviction. Il a appris ce qui nous unissait, toi et moi, et nous a vendus pour nous séparer. Lorsque tu as juré de t’enfuir avec moi, loin d’Orzammar, à la surface, malgré ta terreur pour le ciel et les peuples de dehors, il ne l’a pas supporté. Il a tout fait pour que tu me haïsses, et je crois qu’il a réussi.

Je me demande ce que sont devenus mon père et ma mère. Lorsque tout le monde m’a cru coupable de ce crime ignoble, eux sont restés persuadés de mon innocence. On m’a jugé et banni. Ma famille aurait connu le déshonneur et l’opprobre jusqu’à la fin des temps. Pouvais-je leur infliger cela ? J’aurais pu être heureux à la surface – tu sais combien j’ai rêvé de voir de mes propres yeux le ciel et les arbres, les lacs et les rivières, les océans et les montagnes. Je m’y serais vite habitué, je crois. Plus vite qu’ici en tout cas. J’aurais vécu différemment. Je me serais adapté. Sans peine, j’ai la faiblesse de le croire. Mais mes parents, eux, auraient vécu dans la honte. La seule façon de racheter ma faute, notre faute, était de rallier la Légion des Morts. Sacrifier ma dernière parole à ce but était la meilleure chose que j’ai pu faire durant cette triste affaire. Au moins suis-je parti comme un brave, non comme un assassin.
Comment y as-tu réagi, toi, mon amour ? As-tu seulement versé une larme ? J’ose croire que oui. Même si plus rien ne nous unit désormais, nous nous sommes aimés, n’est-ce pas ?

Je n’ai pas tué ton père. J’ai écrit ces mots tous les jours depuis mon départ, et je les hurlerai jusqu’à la fin, jusqu’à ma mort. Les engeances l’entendront de ma bouche avant de m’ôter la vie. J’ai voulu lui parler de nous, lui expliquer à quel point nous nous aimions. Peu importait notre différence de classe. Nos fils auraient été des guerriers, nos filles des nobles : des positions enviables, pour tous. Nous aurions été heureux. J’y suis allé contre ton avis. La demeure était vide, calme et silencieuse. Puis je l’ai trouvé dans son office. Son sang était partout, sur les murs et le sol, et il était froid, mais je jure sur le peu que je possède encore que je ne l’ai pas tué. Ordahn a comploté cela pour nous séparer, Hird. Il savait que je viendrais, il avait tout calculé. Et à présent, c’est moi qui lutte contre les engeances dans ces trous obscurs, tandis qu’il se pavane à Orzammar, sans doute, à ton bras, peut-être.
Mais l’heure de la vengeance viendra. Les engeances gagnent du terrain et la Légion recule peu à peu. Bientôt, nous serons submergés ou contraints de refluer vers la cité. Et lorsque je reviendrai, je jure sur mes ancêtres qu’Ordahn n’y survivra pas. Si je ne peux prouver mon innocence, j’obtiendrai justice, d’une façon ou d’une autre.

Ce sont peut-être les derniers mots que je t’écris, mon amour, car les combats reprendront bientôt. Je remets ma vie aux mains des très Hauts. Puisse-t-elle ne pas finir de sitôt. Pas avant ce jour béni où le sang de l’infâme rougira les pavés d’Orzammar.

Celui que tu aimais autrefois,
Volgar Berrana, de la Légion des Morts

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