« Hey gamine ! » la fillette releva la tête du tas d’ordures qu’elle était en train de fouiller pour porter son attention sur le type à la voix traînante qui venait de l’interpeller. « Petite ! Viens voir par ici ! » continua-t-il en agitant la main, lui faisant signe de s’approcher. La brunette plissa les yeux, le regard teinté de doute et d'incrédulité. Elle se redressa en agrippant un caillou entre ses mains, et s’approcha de quelques pas, scrutant les alentours pour discerner un éventuel piège. C’est que fallait rester sur ses gardes, dans ces foutus taudis. D’autant plus que si une enfant se faisait agresser par quelques truands du coin, personne ne lèverait le petit doigt pour intervenir. Au mieux, ils pousseraient des cris indignés avant de passer leur chemin. L’enfant s’arrêta à bonne distance du nain, les lèvres pincées. Il regarda autour de lui quelques secondes, avant de se baisser, un doigt sur les lèvres. « Ca t'dit de gagner quelques piécettes faciles ? » chuchota-t-il en acquiesçant vigoureusement. L'enfant fronça de nouveau les sourcils, incertaine de la demande à laquelle elle se trouvait confrontée. Certes, l'idée de ramener un peu d'argent était plus qu'alléchante, mais quel serait le prix ? Ici bas on ne pouvait pas compter sur l'unique générosité de soi-disant bienfaiteurs. « J'vous préviens que j'vends pas mes chicots ! » bougonna-t-elle en plaquant les mains contre sa bouche. Il était de notoriété publique, que certains nains étaient prêts à payer le prix fort pour acheter des dents en bonne santé. Celles de l'enfant étaient en bon état, encore neuves. Si elle le voulait, elle pourrait en tirer un bon prix. Hors de question, cela-dit. L'autre secoua la tête en ricanant. « Vous avez quoi en tête exactement ? » finit-elle par demander, serrant un peu plus la pierre qu'elle tenait entre ses mains. Il lui offrit un sourire presque rassurant. « C'est simple, mes p'tits camarades et moi, on doit aller rendre visite à ce vieil Othar. Mais il nous manque quelqu'un pour monter la garde. On en a pas pour longtemps, mais faudrait pas qu'on soit dérangés. »  Oh. L'enfant se mordit l'intérieur de la joue, pesant le pour et le contre. Maintenant qu'elle y pensait, c'était pas la première fois qu'elle le voyait traîner dans le coin, ce type. Mais ça avait l'air facile comme mission. « Alors ? » insista-t-il en montrant une poignée de pièces à la petite. Elle releva un regard déterminé vers lui et fit un geste pour s'en saisir. Il referma cependant le poing sur ses possessions en claquant la langue. « J'veux la moitié tout de suite. Le reste après que j'ai monté la garde pour vous. » fit-elle d'un air sûr d'elle. L'étranger la dévisagea quelques secondes avant d'éclater de rire. « J'aime bien ton bagou la p'tite ! » fit-il en essuyant une larme sur le coin de son œil. « Tiens v'là ta moitié ! » continua le nain en lui tendant cinq pièces de cuivre. Wow. C'était déjà énorme. Elle pourrait se nourrir pendant au moins une semaine avec ça. Elle saisit l'argent et le fourra rapidement dans la poche de son veston.

Ca avait commencé comme ça, simplement. Un type louche qui était venu lui demander quelques services un coup de temps en temps en échange d'argent. Et pour être tout à fait honnête, la petite Briséïs s'en était sortie plus que bien. Au bout d'un moment, le vieux Ildasir lui proposa un boulot à temps plein avec son « association », comme il les appelait. Elle n'avait jamais été dupe et savait de qui il s'agissait. Elle était parfaitement au courant des ennuis qu'elle risquait d'avoir si jamais elle se faisait chopper en leur compagnie. Peut-être aurait-elle dû décliner leurs offres. Mais quels choix avait-elle réellement ? C'était pas comme si elle avait l'occasion d'avoir un vrai travail dans les Taudis. Et puis, tant qu'elle pouvait manger, ça lui convenait. Au fil des années, elle fut beaucoup de choses pour le carta. Guetteuse, voleuse, casseuse de nez, fouineuse, receleuse... Bref. La panoplie de la parfaite criminelle de bas étage.

Tout ce qu'elle savait, tout ce qu'elle était, elle le devait au vieux Thenmel Ildasir. Ce même type qui, alors qu'elle n'était qu'une va nu pieds des Taudis, lui accorda une chance de devenir quelqu'un. Bon, quelqu'un de l'ombre, mais tout de même. Le carta était toujours à la recherches de personnes assez désespérées pour accepter de bosser pour eux, et il avait su trouver ça chez Briséïs. Quand on la regardait aujourd'hui, ancrée dans son rôle plus ou moins important au sein du carta, respectée par ses membres -et adulée comme une reine aussi, faut pas l'oublier- il était difficile d'imaginer qu'un jour elle n'avait été qu'une gamine des rues. Enfin non, pas tant que ça. Elle n'avait toujours aucune manière, et un sens de la diplomatie assez particulier. Mais vous voyez ce que je veux dire, pas vrai ? Elle porte le nom d'Ildasir en mémoire de celui qui fut son mentor, et qui fit office de figure paternelle à son égard. Sa manière à elle de le remercier.